Histoire des Alpes - Storia delle Alpi - Geschichte der Alpen (1998)/07

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DE LA MIGRANCE À L'ERRANCE OU LES ITALIENS ENTRE «LA MORT DU GRAND PAN» ET «LA PROCESSION DES MORTS»
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[ 75 ]DE LA MIGRANCE À L'ERRANCE OU LES ITALIENS ENTRE «LA MORT DU GRAND PAN» ET «LA PROCESSION DES MORTS»


Christian Abry et Alice Joisten


Zusammenfassung


Vom Migrieren zum Herumirren oder die Italiener zwischen dem «Tod des Grossen Pan» und der «Totenprozession»


Welche Beziehung gibt es zwischen den vorbeiziehenden italienischen Erntearbeitern, den Wilden Männern und Frauen, den waldensischen Häretikern, dem Ewigen Juden, dem König Herodes und dem Totenzug? Diese Homologien zwischen historisch unterschiedlichen Wesen ergeben sich aus einem Ensemble von Erzählungen, welche in den 1950er und 1960er Jahren in den Hautes-Alpes gesammelt wurden. Sie gehören alle zum weit verbreiteten, gut strukturierten narrativen Milieu der Feen und Wilden Wesen. In diesem Fall kann die «Todesbotschaft des Grossen Pan» ein Schlussmotiv geben. Wichtig ist auch das Anfangsmotiv: die Zeit des Herumirrens von Totenprozession oder, allgemeiner, von als Totenvolk betrachteten Erscheinungen der Feen. Beides sind oft periodische Phänomene, und die beteiligten Wesen, welche auf menschliche Hilfegesuche eingehen, bezahlen unter Umständen mit einem Moment Ewigkeit: mit 7-100 Jahren. Anhand dieser Erzählungen kann man also entdecken, wie sich das Migrieren als Herumirren denken lässt - als eine Ruhelosigkeit, die anthropologisch und historisch, zusammen mit der Erfindung des Fegefeuers, als Wiederkehr der Toten zu verstehen ist.


C’est devenu un lieu commun, en ces temps de poussées de xénophobie dans l’Hexagone, de rappeler fort justement que les images sur l’immigré transméditerranéen, le Maghrébin, n’ont fait qu’hériter du stock de fan [ 76 ]tasmes que l’on avait activés sur les flux précédents, en particulier sur l’immigré transalpin, l’italien. Notre propos sera de répéter, tout aussi justement, qu’à ce titre nous devons convoquer par priorité historique, et avant les Italiens: les Hommes et les Femmes Sauvages, les hérétiques Vaudois, le Juif Errant ou le Roi Hérode et la Procession des Morts.[1]

Est-ce bien à ce titre que nous devons les convoquer? Et comment éviter de jouer à un jeu des ressemblances et des différences oubliées? Au titre de l’histoire des mémoires et par défiance vis-à-vis des analogies de pensée, auxquelles on se livre à plaisir sur l’imaginaire des autres, voici une défense et illustration d’homologies historiques narratives.

Iltsera donc démontré sur un ensemble de récits de même nature:

(i) Que le canevas narratif - matrice transmise et mémorisée - par lequel il faut passer pour identifier la chute du récit, est L’annonce de la mort du Grand Pan, récit-type connu avant tout dans les Alpes et au nord de celles-ci,[2] même s’il émerge pour la première fois via Plutarque, dans le milieu des marins méditerranéens.[3]

(ii) Que les récits sur les Êtres Sauvages sont le milieu narratif endémique auquel appartient cette matrice.[4]

(iii) Que l’homologie avec les Italiens est bien sûr une intégration historique régionale, de même type que pour les Sarrasins et les Bohémiens ou les bandes armées de Bretons et autres avatars savoyards ou dauphinois.[5]

(iv) Que les Êtres Sauvages permettent de mémoriser l’hérésie, en l’occurrence celle des Vaudois de Pierre Valdo dans les vallées de Dauphiné et Piémont,[6] comme celle des Protestants, voire des Jansénistes.[7]

(v) Qu’ils permettent, plus fondamentalement que la migrance ou les déplacements de populations persécutées et/ou mues par une forme de messianisme, de mémoriser l’errance, en la personne du Juif Errant, dont le cycle est très riche dans les Alpes,8 une errance d’ailleurs plus «éternelle» qu’«eschatologique-tu-meurs-et-tu-ressuscites», puisque la périodicité fixée avant le Jugement Dernier est en l’occurrence de 500 à 1000 ans.

(vi) Enfin que cette errance, en allant toujours plus avant, doit anthropologiquement,9 et historiquement avec l’invention du Purgatoire,10 être comprise comme celle des morts, du retour des morts.[8]

En clair notre but est de rappeler comment, dans la narration de tradition orale, la migrance peut se penser en errance. Dans cette approche, il y a deux voies qu’aujourd’hui nous ne suivrons pas.

La première peut être illustrée par le numéro spécial d’avril 97 du Magazine [ 77 ]Littéraire, dédié à L’errance, précisément. On y trouve plusieurs propositions ou citations qui sont révélatrices d’une approche littéraire ou philosophique qui ignore les témoignages de la tradition orale, autrement dit une approche qui par méthode ne confronte pas ses hypothèses aux données empiriques des œuvres de l’histoire de l’humanité.[9] Ainsi dans ce numéro, il est avancé d’une part ceci: «l’idée d’<errance> est en réalité résolument moderne, car le problème du lieu n’a pu se poser réellement qu’avec la naissance et la reconnaissance de la notion de Sujet».[10] Par ailleurs, il est fait référence à cette citation de Heidegger: «L’homme est fondamentalement dans l’errance; il n’y tombe pas par accident.»[11] Dans cette dernière proposition, si l’homme est errance (comme l’homme peut être sexe, économie, être dialogique, ou affublé d’une quelconque autre essence totalitaire), on ne voit pas l’intérêt de démontrer l’existence de ce qui lui serait donné. En contrepoint, on ne pourrait suivre qu’un avatar moderne de l’errance, défini sur mesure, soit en partant d’un a priori énoncé comme suit: «le problème principal de l’errance n’est rien d’autre que celui du lieu acceptable»; et ceci alors-même qu’on vient de déclarer que «l’errance, terme à la fois explicite et vague, est d’ordinaire associé au mouvement, et singulièrement à la marche, à l’idée d’égarement, à la perte de soi-même»;[12] ce tour de passe-passe étant au bout du compte uniquement destiné à singulariser une errance maintenant voulue sans Sujet - mais toujours sans «lieu acceptable» -, de la «modernité qui est la nôtre».

La seconde voie que nous n’emprunterons pas directement - même si nous l’aimons beaucoup par ailleurs -, c’est celle de l’histoire orale. Elle a été illustrée en l’occurrence par les enquêtes de De Angelis sur les nouveaux pauvres et l’immigration dans les villes.[13] Elle sera intégrée implicitement ici, seulement dans la mesure où il arrive qu’elle donne aussi accès au même type de récits dont nous traitons ci-dessous, étant bien entendu que ces récits ne sont pas l’objet exclusif des discours recueillis par l’historien de l’oralité. Ainsi nous évoquerons brièvement, au final, le contraste entre les stéréotypes sur le migrant, fréquents dans ces enquêtes, et l’errance de nos récits-types.

Le but de cette contribution est de donner pour la première fois l’ensemble des cinq récits parents disponibles,[14] qui parlent en fait de l’errance par eux-mêmes, et plus précisément encore de l’être errant retardé et/ou égaré - une fois simplement égaré. Tous ont été recueillis relativement près les uns des autres, dans les Hautes-Alpes, par Charles Joisten dans les années 1950-1960.[15] Nous allons indiquer, à l’aide de quatre autres récits, les liens qu’ils tissent [ 78 ]entre la migrance et l’errance, tout spécifiquement par leur chute narrative. L’annonce de la mort du Grand Pan, et leur «incipit». La Procession des Morts, soit une liaison entre les Fées ou les Êtres sauvages et les Morts. Les Italiens migrants, en l’occurrence ces troupes de moissonneurs ou faucheurs saisonniers, bien présents dans la région, vont donc se montrer d’abord pensés dans une théorie ou procession d'Êtres sauvages.


DEUX RÉCITS DE «PASSANTS» SAUVAGES


Les deux documents suivants ont été recueillis, avec la précision de leur confession, protestante, de la bouche de deux témoins différents, dans une vallée qui a connu la persécution des Vaudois. Nous retrouverons ces Vaudois devenus légendaires dans une vallée voisine. Mais pour l’instant les Italiens seront des sauvages et des anachorètes ... Un «mélange culturel» pour le moins dur à saisir, en tous cas pour notre éducation, habitués que nous sommes à rencontrer des objets de mémoire policés, aussi simples que nos animaux de connaissance, donc aussi peu étranges que des canards, des castors, et pas des ornithorynques, a priori soupçonnés d’être un montage d’antiquaire, un bricolage, pour reprendre un terme qui a des sens très différents dans la combinatoire mythique et dans l’évolution biologique.19 Tel un zoologiste ou un botaniste, le folkloriste sera bien le seul à prendre, sans soupçon, ni condescendance, ces objets pour ce qu’ils sont: les produits d’une «histoire naturelle» de l’esprit. Au contraire, il s’émerveillera, en l’occurrence, de la durabilité des indices d’une culture de l’Écriture dans le Protestantisme, à travers ses réinterprétations.

Les sauvages, c’étaient des Italiens qui passaient dans le mois de juillet. Ils se laissaient pousser la barbe et les cheveux, ils étaient tout déguenillés. Un nommé Pavie, des Viollins, était un jour dans les prairies à ramasser du foin aux Deyets, au-dessus des Mensals; il avait que son mulet avec lui. Il est venu à passer cette caravane de sauvages et alors cet homme leur a dit: «Donnez-moi la main pour charger mon mulet.» Les sauvages l’ont aidé, mais ils ne sont presque pas restés. Et une jeune fille qui se trouvait avec eux [entendez: de leur tribu] est restée un moment de plus pour tenir le mulet. Pendant ce temps les autres ont filé et elle s’est mis à dire: «Oh! Qu’est-ce que vous avez fait, maintenant je ne pourrai plus retrouver mes parents.» Ses parents avaient déjà disparu derrière les rochers. Alors ce Pavie lui a dit: «Si vous voulez rester, je vous garde avec moi à la maison.» La jeune fille est restée avec lui quelques années. Elle gardait les moutons jusque tard dans la nuit, tellement que ses moutons étaient les plus jolis du village, à cet homme. Ça lui faisait rien de rester la nuit comme [ 79 ]ça, elle était sauvage! Alors, quelques années plus tard, la caravane de sauvages est repassée, et ils ont crié: «Nicole,Nicole, ta mère te sonne!» Ça c’est l’italien [la langue] qui dit comme ça. La jeune fille a quitté ses moutons et elle est repartie avec eux. Le nom de Pra Nicolo [Pré Nicole] est resté à un pré. Il paraît qu’ils s’arrêtaient pas ces sauvages, ils filaient, ils filaient, surtout quand ils voyaient quelqu’un. On les appelait aussi les anachorètes, parce qu’ils couraient, ils ne s’arrêtaient pas. (Félix Berthalon, 77 ans, protestant. Les Viollins, Fressinières, Hautes-Alpes, 1962)

[La bande de sauvages] Mon grand-père était allé chercher du foin derrière le village des Mensals. C’était tout travaillé ... Et il ne trouvait personne pour lui aider à charger. Alors il a vu passer une bande de sauvages sur la route. Ils étaient pieds nus, tête nue, les cheveux qui arrivaient peut-être aux talons. Ils étaient sept qui étaient tous les sept de file. Il a pris le premier et lui a dit: «Vous pourriez pas m’aider à charger?» - on dit, sur la montagne, qu’on ne peut pas refuser, ce serait votre plus gros ennemi, qu’il ne peut pas refuser. Il ne lui a pas répondu [ce sauvage], il l’a laissé en peine. Moi, je l’ai toujours entendu dire comme ça; moi, je le dis d’après les anciens. Il les a pris tous les sept [les uns après les autres] et le dernier a été obligé de l’aider. Il faut être deux pour charger le foin, vous comprenez? Le dernier l’a aidé et il lui a dit: «Vous me faites perdre ma compagnie pour sept ans.» Alors mon grand-père lui a garni sa besace et lui a fait garder ses brebis. Cet homme [le sauvage], qui s’appelait Nicole, ne gardait que la nuit. Il ne voulait pas garder avec les autres, pardi! quand les autres les rentraient [leurs brebis], lui sortait les siennes. Il gardait toute la nuit. Derrière le village des Mensals, il y a un pré qu’on appelle le Pra de Nicole; c’est peut-être là qu’il gardait. Au bout de sept ans ses camarades ont repassé. Ils venaient d’en bas et montaient du côté de Dormillouse, du col d’Orcières. Et un des sauvages, qui devait être son père, a crié à quelques mètres des maisons: «Nicole, Nicole, ton père te sonne!» Quand il a entendu ça, il a laissé la besace, le bâton et le manteau et il a filé avec eux ... C’étaient que des hommes, mon pauvre grand-père le disait bien, c’étaient des bandes qui partaient comme ça pour trouver fortune. On menait [emmenait] pas la femme. (Mme Adèle Michel, 80 ans, protestante, née aux Mensals, Les Roberts, Fressinières, Hautes-Alpes, 1962)

Nous n’insisterons pas sur les similitudes et les différences qui font des objets de la tradition orale des mémoires vivantes, tout à la fois variantes et invariantes en un même lieu comme peut l’être une plante, soit la vie. La théorie des sauvages s’étire jusqu’à comprendre une bande d’italiens. La rencontre se passe au temps de la fenaison au-dessus des Mensals. Et c’est un récit authentifié par le témoin direct de cette rencontre et de l’expérience qui s’ensuit, le grand-père ou le nommé Pavie. Enfin le récit légendaire s’ancre dans un toponyme au nom de l’être sauvage passé et reparti. Nicole est ici un des nombreux noms de ces êtres sauvages autant féminins que masculins, et ceci sans qu’il y ait la moindre contradiction entre l’absence des femmes (épouses) dans ces bandes de braccianti, et la présence de la fille d’un père sauvage, pas plus que s’il s’agissait de l’enfant d’une fée. [ 80 ]L'ANNONCE DE LA MORT DU «GRAND PAN»

Avant d’entendre résonner d’autres noms, voici un appel identique, que perçoit une autre enfant d’être sauvages égarée.

Les Vaudois étaient des gens à demi-sauvages qui habitaient les montagnes, les forêts, tout à fait là-haut dessus, vers les pâturages du Lauza. Ils habitaient des masures qui se connaissent encore. Ils faisaient un peu du mur, et puis un peu de bois et de la feuille morte par-dessus. Les hommes comme les femmes avaient des cheveux très longs qui leur arrivaient sur les reins. Les hommes portaient une longue barbe, ils avaient la tresse dans le dos et les femmes avaient les cheveux battants. Ils étaient habillés en peaux et vivaient de leurs produits. Ils avaient des bêtes. Une fois, il y avait une jeune fille [vaudoise] qui était descendue, au lieu de monter vers ses parents; elle s’était égarée. Elle avait de beaux cheveux noirs très très longs. Alors nos voisins l’avaient recueillie. De temps en temps, elle écoutait, elle prêtait l’oreille. Et une fois, elle a dit dans le patois vaudois: «Mio madro / Que me sono.» Elle voulait dire: «Ma maman qui m’appelle.» Elle s’est sauvée; elle est montée vers la forêt [...]. (Mme Justine Roux, 70 ans, Puy-St-Vincent, Hautes-Alpes, 1961)

L’informatrice précisait qu’en patois de Puy-St-Vincent, on aurait dit: Mania qué nié crèio. La forme dialectale de cette mère qui «crie», d’un cri de fée, est locale; comme celle que nous allons comparer à l’instant. Et la précision du témoin est d’importance. D’une part, elle permet de vérifier que nous avons affaire à une construction dialectale, qui n’est donc pas un souvenir d’une parenté bien révolue, même par le dialecte, de ces êtres historiques hérétiques vaudois du Briançonnais, anciens persécutés de ces vallées devenus légendaires, avec ceux toujours vivants des vallées vaudoises du Piémont.[16]

D’autre part, cette précision permet enfin de comprendre le commentaire jusque-là plutôt obscur du document précédent: «Ça c’est l’italien qui dit comme ça.» Il s’agit donc bien d’une construction de mémoire de l’italien (un madré contre le maire de l’occitan dauphinois ou piémontais), et dans le même temps d’une construction de l’italien, comme étranger de langue et étranger migrant.

Mais pour lors, il y a plus radical que la construction d’une simple «étrangérité» ou «foranité» de l’italien: c’est à l’épiphanie d’une étrangeté que nous sommes conviés dans la narration. Car cet appel du père ou de la mère, qui vient ici de «sonner» à trois reprises l’être sauvage, est aussi étrange que la série des appels de ces êtres parents du Grand Pan, qui résonnent dans les Alpes et dans les contrées plus septentrionales. [ 81 ][L'appel de la mère-fée] Dans une maison du Villard, les fades descendaient par la cheminée, le soir à la veillée, et elles venaient danser autour de l’âtre. Un soir, l’une d’elles a dit en patois: «Tsaou que me n’ani, que ma maïre me cride.» (Il faut que je m’en aille, car ma mère m’appelle, «me crie»). Elle est repartie par le même chemin. On l’appelait Marioune. Elle s’appelait peut-être Marie? On lui disait Marioune en patois. J’entendais dire ça à l’arrière-grand-mère Millon. (Mme Sidonie Bonnardel, 70 ans. Les Guérins, Sigoyer, Hautes-Alpes, 1961)

[La fée servante à qui l'on apprend que sa sœur est morte] Une fade était restée douze ans dans une maison de Barcillonnette, dite «le Château», dont le propriétaire était Monsieur Augier. Elle ne parlait et mangeait jamais. Elle ne faisait que la vaisselle, le reste du temps, elle s’asseyait sans bouger devant la cheminée, près du feu. Un jour. Monsieur Augier est parti de Barcillonnette pour aller à Veynes, monté sur le bast [grande selle] de sa mule. Quand il eut passé Espréaux et qu’il se trouva dans la Gorge, une fée est venue s’asseoir derrière lui sur le dos de la mule et lui a dit: «Dirès a miouna sourouna Bouroulouna / Que miouna sourouna Bouroulouna es mouorta.» (Tu diras à ma sœur Bouroulouna que ma sœur Bouroulouna est morte). Et allez! Elle saute de sur le dos de la mule et il ne la voit plus. En rentrant chez lui, il le dit à la fée qui répond: «Puisque miouna sourouna Bouroulouna es mouorta, ièou m’en vaou.» (Puisque ma sœur Bourouloune est morte, je m’en vais). Elle passe par la cheminée et on ne l’a plus jamais revue. (Mme Thérèse Garcin, 62 ans. Le Plan de Vitrolles, Vitrolles, Hautes-Alpes, 1960)

Épithersès, le témoin auquel on se réfère d’autorité dans Plutarque, où il s’agit de prouver que les démons comme Pan sont différents des dieux, et qu’ils sont en l’occurrence mortels (on sait que le fait que les Crétois montraient la tombe de Zeus n’était guère apprécié des Grecs), n’entend bien sûr ni Bourouloune, ni Nicole, ni Miton-Mitaine, ni Mistoudine, et autres noms qui courent les Alpes, noms de fées qui n’ont point d’âge tout en étant mortelles pour la narration (on montre aussi leurs tombes). Mais surtout il n’y a pas départ (séparation) de l’être sauvage qui s’était familiarisé au foyer des humains, voire «domestiqué». Juste le transport de l’annonce de la mort, depuis le large de l'île de Paxos jusqu’au large du port de Palodès, avec ce grand bruissement de sanglots mêlés de surprise qui s’élève de la terre. La Méditerrannée n’est plus le lieu de la légende.


AUTRES THÉORIES D'ERRANCE

[Le Juif Errant et ses compagnons ou le Roi Hérode et ses soldats] C’est l’usage au Val d’Arvieux [en Queyras, Hautes-Alpes] que, lorsque le foin est coupé dans la vallée, on aille compléter la récolte insuffisante par la fenaison de plusieurs vallons situés au-dessus de la zone boisée (à une altitude variant de 2000 à 2500 mètres) où [ 82 ]de coquets chalets sont agglomérés en un vaste village que l’on nomme «la Montagne». Les villageois vont y faucher au début du mois d’août. Mais on y monte tous ensuite pour y mener une vie tranquille jusqu’aux premiers froids, avec tout le bétail qui s’y nourrit d’un gazon fleuri plus substantiel que celui de la vallée. Cette coutume est très ancienne. Aussi conte-t-on que le Juif Errant et ses compagnons (d’autres disent le roi Hérode et ses soldats) passèrent à la montagne de Brunissard, un matin d’été, tandis que tous étaient occupés à faucher. A l’entrée du vallon, tout près des chalets de l’Eychaillon, une femme était seule, occupée à charger une trousse de foin sur son mulet, mais elle était trop faible et désespérait d’y arriver. Aussi, lorsqu’elle vit déboucher cette troupe d’hommes robustes et forts, poussa-t-elle un soupir de soulagement, et, s’adressant au premier: «Bel homme, lui dit-elle, veuille aider une pauvre femme à hisser sur son mulet cette charge de foin trop lourde pour elle, mais légère pour tes muscles puissants! - Je n’ai pas de temps à perdre, répliqua l’homme sans s’arrêter. Adresse-toi à qui me suit.» Le deuxième l’adressa au troisième, le troisième au suivant, et ainsi de suite jusqu’au dernier. Le dernier, c’était le Juif Errant. Celui-ci fut touché par les supplications de la pauvre femme et, en un clin d’œil, mit la trousse sur le bât. Mais pendant ce temps, ses compagnons avaient pris sept pas d’avance sur lui. Et il s’enfuit à toute vitesse, criant à la femme interloquée: «Maintenant, lie et délie la trousse de foin autant de fois que tu voudras. Moi, il me faut sept ans pour rattraper ma compagnie.»[17]

La force de cette charpente narrative, qui donne à voir une théorie de «passants», est ici assez active pour qu’elle ait intégré l’errance, pourtant traditionnellement solitaire du Juif Errant,[18] au point de lui trouver une suite de compagnons, homologues des soldats du Roi Hérode. C’est une autre troupe d’errance dont nous avons dernièrement entrepris l’étude, et qui est présente sous la forme bien connue de la troupe des revenants damnés, soit en chasse sauvage, un peu plus au nord en Savoie.[19] En voici maintenant, pour les Hautes-Alpes, une autre forme, tout aussi classique, la Procession.

[La femme qui demande de l’aide à la procession des morts] Une femme allait au moulin le jour de la Toussaint et elle a croisé une troupe de revenants. Son mulet a eu peur et le sac de blé qu’il portait est tombé. La femme a demandé au premier revenant de l’aider à recharger son sac. Il lui a répondu: «Demandez au second, il vous aidera.» Le second lui a dit: «Demandez au troisième.» Le troisième l’a renvoyée au quatrième, et ainsi de suite jusqu’au dernier, qui était justement son mari défunt. Celui-ci l’aida à recharger son blé et lui dit en la quittant: «Malheureuse, ne retourne jamais au moulin un jour de Toussaint, car il me faudra cent ans pour rattraper mes compagnons.» (M. Tholozan, instituteur, Gap, vaut pour Châteauroux, Hautes-Alpes, 1959)[20]

On remarquera la période de la Toussaint. Mais ce document n’est pas le seul à évoquer une périodicité certaine du passage, parfois saisonnière implicite on non (pendant la récolte du foin, juillet, l’été). Une périodicité [ 83 ]nocturne[21] aussi, car la nuit est du domaine des esprits, comme de l’être sauvage berger/ère.

Dans tous ces passages, la demande d’entraide est étrangement repoussée («ce serait votre plus gros ennemi...»), renvoyée au dernier (ou bien l’aide est étrangement vite donnée: tenir le mulet prendrait trop de temps), ce dernier qui ne peut plus refuser (ou ce qui revient au même, celle qui se fait piéger en tenant ce mulet). Résultat: cet instant d’éternité de perdu vaudra de sept à cent ans (plusieurs années en tous cas). Le temps d’ici et celui de l’au-delà n’est pas le même: s’en aperçoit celui qui en revient et qui blanchit à l’instant ou tombe en cendres.


LES FÉES ET LES AVATARS HISTORIQUES DU BANQUET DES ESPRITS OU DES MORTS

Quel est le rapport entre les fées - êtres sauvages - et les morts? Voici deux documents locaux qui permettent de confirmer qu’une relation de ce type, que nous allons retrouver d’un point de vue comparatif dans le folklore européen, peut exister dans la région-même de ces errances.

[La belle tasse des fées] Mon arrière-grand-père, Jean-Pierre Vollaire (1800-1870) se rendait, à la tombée de la nuit, de La Saulce au Plan de Vitrolles. Quand il s’est trouvé au quartier de Saint-Antoine, il a vu des fades qui dansaient. En voyant passer mon arrière-grand-père, l’une de ces dames se détache du groupe et vient lui offrir une belle tasse remplie de liquide. Il prend la tasse, mais avant de boire, il fait le signe de la croix. La tasse lui reste dans les mains et tout s’est évanoui. Il n’a plus vu ni fées, ni dames, ni personne. Il est remonté au Plan, mais s’il avait bu, il aurait été endiablé. Quelque temps après, on lui a réclamé cette tasse, par lettre, de Sisteron, et, malheureusement, il l’a rendue à son propriétaire. (Mme Thérèse Garcin, 62 ans. Le Plan de Vitrolles, Vitrolles, Hautes-Alpes, 1960)

[Les verres d’argent des francs-maçons] J’avais un de mes oncles qui me racontait puis, il disait comme ça: un jour qu’il passait du côté de Saint-Etienne [-le-Laus], à l’embranchement des routes, il a vu une troupe de jeunes qui s’amusaient, qui faisaient la ronde en buvant à des verres d’argent. Comme il passait, on l’a invité à boire avec eusses. Il n’a pas refusé, il a dansé et trinqué avec eusses. Avant de boire, il a fait le signe de la croix et tout est parti, et il est resté seul le verre à la main. Un autre jour à Gap il les a rencontrés. Ils lui ont demandé le vase, et il le leur a rendu. C’étaient des francs-maçons. (Mme Marie Peyrot 89 ans, Valserres, Hautes-Alpes, 1954) Nous sommes en présence d’un complexe légendaire, celui d’une «légende migratoire»,[22] qui a été bien identifiée par Donatien Laurent,[23] dans son [ 84 ]commentaire à propos de la publication des récits recueillis par Charles Joisten sur le sabbat. Une autre «légende migratoire» est aussi présente lors qu’il arrive que le témoin identifie les convives du banquet comme étant tous des défunts de la paroisse qu’il a connus de leur vivant.[24] L’intérêt du document des fades est qu’il se rencontre à l’extrémité sud d’une zone de phénomène sabbatique, celle de la synagogue,[25] dans une zone qui, depuis les francs-maçons de Valserres, juste en amont de ces fades de Vitrolles, sur le bord de la Durance, voit se continuer le motif de la coupe du banquet fantastique, loin au nord vers le lac Léman. On ne peut bien entendu, par cette seule situation marginale, décider s’il s’agit d’une forme pré-sabbatique de l’assemblée des Morts ou des Esprits ou d’une adaptation de la synagogue au milieu narratif sur les fées, très riche de récits-types dans les Hautes-Alpes (ainsi que l’illustre la Bourouloune de notre même témoin de Vitrolles). Nos autres documents semblent pourtant renforcer cette liaison dans le sens de notre première suggestion.

Il nous aurait fallu sans doute insister davantage sur le rapport entre les fées et les morts, dans le simple but de mieux comprendre cette étrange façon de mémoriser la migrance dans l’errance, par des types de la littérature orale pratiquement inconnus du monde littéraire.

Mais, dans le cadre de ce colloque et dans l’actualité de nos tolérances/intolérances à la migrance,[26] vous aurez peut-être entendu sans difficulté deux ou trois messages de ces récits, même si ce sont fondamentalement des outils mémoriels neutres du point de vue de la morale qu’ils peuvent accueillir. Premièrement, que le prix de l’entraide, c’est le prix d’une entraide à l’aune de l’éternité, le temps de l’errance.

Deuxièmement, qu’il y a un bénéfice certain apporté par l’emploi de l’errant sauvage, lequel produit effectivement une certaine prospérité («ses moutons étaient les plus jolis du village»), sinon une abondance, disons une «suffisance» assurée, comme le font habituellement les fées.

Troisièmement, l’impossibilité pour ces êtres d’un autre monde, qui apportent un type de prospérité, d’être vraiment possédés, car l’appel du Grand Pan vient rompre à coup sûr l’engagement.

Comme les stigmatisations classiques de l’étranger, ces récits s’héritent: des sauvages, au Roi Hérode ou au Juif Errant, en passant par les Morts, les Vaudois, et enfin les Italiens. Mais on leur comparera la pauvreté des stigmatisations rappelées par les historiens - du type Italiens puis Maghrébins prompts à sortir le couteau, stéréotypes encore activés dans les «vogues». [ 85 ]kermesses ou en boîte de nuit - et l’on comparera aussi la spécialisation somme toute étroite de ces stigmatisations, avec des charpentes narratives qui peuvent accueillir aussi bien Nicole, la jeune sauvage italienne bénéfique pour les moutons, que votre propre mari mort, dans la procession des âmes du Purgatoire.


Notes

1 Remerciements: À Anne-Marie Granet et à Dionigi Albera, pour ce qu’ils nous ont appris par leurs travaux sur ceux qui partent des Hautes-Alpes, et sur ceux qui y viennent depuis l’Italie, même pour en repartir. À Isabelle Bœhm et Françoise Létoublon pour leur patience d’hellénistes. À Jacques Berlioz et Claude Lecouteux, toujours prêts à nous dépanner pour nous inviter à lire une référence, lorsque nous avons eu la paresse de la consulter. À Jean-Claude Duclos pour nous avoir donné une première chance de publier trois de ces témoignages en 1995 à Arvieux (Abry et Joisten, 1997, cf. infra note 17). À tous les organisateurs du colloque et de sa publication, pour nous avoir laissé la possibilité de tisser les liens qu’appellaient ces textes, liens qui sont exposés ici sous notre entière responsabilité.

2 Selon la monographie de I. M. Boberg, Sagnet om den store Pans dod, Kopenhagen 1934.

3 Classiques Budé: Œuvres morales, IV Dialogues pythiques. De defectu oraculorum, 17, Paris 1974, pp. 121-123.

4 La démonstration cartographiée en a été faite dans l’Atlas de folklore autrichien ( 1979), par K. Haiding, «Sagen von den Wildleuten», in: R. Wolfram, I. Kretschmer (éd.). Österreichischer Volkskunde Atlas .Vienne 1959-1981, cartes Wildleute III: Plötzliches Scheiden der Wildleute oder anderer Wesen, durch Todesbotschaft / an die Katze oder Spitzhütel [cette dernière annonce, soit le B 342, du Motif-Index de S.Thompson, Bloomington 1966, est aussi intégrée par ailleurs à un conte comme le 113 A, King ofthe cats is dead].

5 C. Joisten, «De quelques sources d’influences dans la formation des récits légendaires alpestres», in: Arts et Traditions Populaires 18,1-3,1970, pp. 141-158.

6 P. Paravy, De la chrétienté romaine à la Réforme en Dauphiné.... 2 vol., Rome 1993.

7 C. Abry et A. Joisten, «L’oralité insoupçonnée ou la rencontre par Coolidge d’un motif du récit légendaire de Polyphème», in: F. Létoublon (éd.). Actes du colloque Milman Parry (Grenoble, 14-16 septembre 1993), à paraître, pp. 337-354.

8 Bien recensé en Valais, J. Guntern, «Der ewige Jude im Wallis», in: Rechtsgeschichte und Volkskunde (I. Bielander zum 65. Geburtstag), Schriften des Stockaiper-Archivs in Brig 12, Brig 1968,pp. 51-54 (cf. aussi Volkserzählungen aus dem Oberwallis, Sagen, Legenden, Märchen, Anekdoten aus dem deutschsprechenden Oberwallis, Basel 1978).

9 Exemplairement depuis J. Frazer, La crainte des morts, 3 vol., Paris 1934,1935,1937.

10 J. Le Goff, La naissance du purgatoire, Paris 1981.

11 Selon le beau titre du n° spécial d'Etudes rurales: D. Fabre (éd.), «Le retour des morts», in: Études rurales 105-106, 1987.

12 On comparera une enquête linguistique, contribution au problème du non-être dans la philosophie antique, par F. Létoublon, «La notion de non-être dans l’histoire de la langue grecque archaïque», in: Revue de Théologie et de Philosophie (Mélanges Henri loly) 122, III, 1990, pp. 312-322, ici p. 320, qui rappelle au final que chez Homère: «le néant n’a pas de nom mais le <non quelqu’un) est un nom propre» (Outis, l’hypocoristique qu’Ulysse dit lui être donné par ses parents et ses compagnons, et qui le(s) protégera du cyclope). Ne serait-ce pas encore une fois rappeler que les «ruses de l’intelligence», selon l’expres[ 86 ]sion célèbre de Detienne et Vernant (la métis d’Ulysse comme dupeur ou trickster), ont pu naître avant l’intelligence, dans l’histoire naturelle des œuvres-récits, sinon dans l’évolution de l’humanité? Puisqu’Autos est bien la règle dans la tradition non-homérique (toufours inconnue de Vernant, in: F. Frontisi-Ducroux et J.-P. Vernant, Dans l’œil du miroir, Paris 1997, pp. 23-30), ou l’erreur sur «moi-même» joue mieux encore que l’erreur sur la négation de la personne?

13 A. Laumonier, «L’errance, ou la pensée du milieu», in: Magazine Littéraire 353 (avril 1997), pp. 20-25, ici p. 20.

14 F. de Towarnicki, «Fleidegger: errance et pensée planétaire», in: Magazine Littéraire 353 (avril 1997), pp. 40-42, ici p. 41.

15 Laumonier, 1997 (note 13), p. 20.

16 R. De Angelis, Gli erranti. Nuove povertà e immigrazione nelle metropoli, Roma 1991.

17 Trois de ces récits ont été publiés une première fois dans C. Abry et A. Joisten, «Du drac aux sauvages, en passant par les Italiens et les Vaudois: un voyage à l’altitude du paysage mental des villages d’altitude», in: J.-C. Duelos (éd.). Villages d’altitude (Arvieux, 7-8 décembre 1995), Cahors 1997, pp. 69-76, avec la signalisation de leurs parentés les plus immédiates, sans que le problème de la liaison avec la troupe des esprits ne soit abordé.

18 À une exception près, cf. infra, A. Bourgue, Vieilles coutumes. Vieilles chansons. Vieilles légendes du val d'Arvieux. Queyras, Hautes-Alpes, Cavaillon 1968.

19 Pour comparer le bricolage «à la licorne», dont s’inspirent encore certains anthropologues, et celui «à l’ornithorynque», cf. respectivement, C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris 1962 (pp. 26-47) ra. F. Jacob, «Evolution and tinkering», in: Science 196, 1977, pp. 1161—1166. Même si, depuis, P. Alberch, «Monsters: Evidence of internal constraints in development and evolution», in: Geobios 12,1989, pp. 21-57, extrapole hardiment vers la création artistique (tous créateurs confondus: des Magdaléniens à Miró), il se donne au moins les contraintes de la tératologie biologique (mais constater que les fœtus cyclopéens ont l’œil sous le nez, nous aide-t-il pour l’histoire naturelle de la narration?).

20 C. Abry et A. Joisten, 1997 (note 17), p. 74.

21 Bourgue, 1968 (note 18), pp. 84-85.

22 Cf., en dernier lieu, G. Milin, Le cordonnier de Jérusalem ..., Rennes 1997, qui comprend quelques titres récents, mais rien de nouveau sur les Alpes (notamment pas Guntern, 1968, cf. note 8).

23 C. Abry et A. Joisten, «Le Roi Hérode en Savoie et Dauphiné: du chasseur sauvage au croquemitaine», à paraître.

24 C. Abry et A. Joisten, Êtres fantastiques des Alpes, Paris 1995, pp. 189-190.

25 Cette périodicité nocturne n’est pas comme le pensait C. Macherels, (cf. «Un purgatoire alpin (Lœtschental)», in: La haute montagne. Vision et représentations. Le Monde alpin et rhodanien 1-2,1988, pp. 87-112), dans le débat que nous avons eu sur les périodicités de la procession des morts en Valais, «le tohu-bohu de la Genèse». Comme nous avons eu à le préciser en note 1, p. 112 (ibid.): un périodique comme Le Soir est à périodicité journalière dont la phase à l’origine se situe le soir (vs. Le Matin). On se reportera aux références données par l’Auteur et par nous-mêmes dans ce débat, sur le Totenzug, en ajoutant à cette procession qui est loin d’être uniquement suisse, les formes du Totenvolk et du Nachtvolk bien étudiées dans l’espace alpin par K. Beitl («Die Sagen vom Nachtvolk ...», in: L. Schmidt (éd.), Wunder über Wunder tRaabser Märchen-Reihe I, Wien 1974, pp. 69-75), et qui nous rapprochent des passages et/ou assemblées nocturnes des esprits.

26 Migratory legend n° 6045, Drinking cup stolen from the Fairies, dans le catalogue de Christiansen, The migratory legends: a proposed list of types with a systematic catalogue of the Norwegian variants, FFC n° 175, Helsinki 1958: monographie de I. Lövkrona, Det bortrövade dryckeskärlet. En sagenstudie, Lund 1982.

27 D. Laurent, «Le pot de la gogue», in: C. Abry et A. Joisten (éd.). Etres fantastiques dans les [ 87 ]Alpes. Recueil d’études en mémoire de Charles Joisten (1936-1981). Le Monde alpin et rhodanien 1-4,1992, pp. 209-214.

28 Migrâtory legend n° 4015, The midnight mass ofthe Dead. Laurent, 1992 (note 27), p. 212.

29 Un autre avatar historique bien connu, C. Abry et A. Joisten, «<Secte> et <synagogue> dans les Alpes françaises: récits du sabbat», in C. Abry et A. Joisten (éd.), 1992 (note 27), pp. 185-191 (avec une carte).

30 Un choix récent, dans le contexte des lois sur rimmigration, existe entre J. Derrida, Dufourmantelle invite Jacques Derrida à répondre. De l’hospitalité. Paris 1997 et le recueil de D. Fassin et al. (éd.). Les lois de l’inhospitalité. Paris 1997, soient deux ouvrages en référence plus ou moins directe au politiquement irrécupérable P. Klossowski, Les lois de l’hospitalité. Paris 1965. Le lecteur d’aujourd’hui qui ne veut pas se contenter d’une approche historique - comme dans la grande fresque de B. Geremek, La potence ou la pitié: l’Europe et les pauvres du Moyen Age à nos jours. Paris 1987 (éd. polonaise 1978)-, y verra disparaître les concepts - devenus encore plus irrécupérables que Klossowski - de la charité et de cette piété sur laquelle repose fondamentalement les actes d’hospitalité envers les hommes considérés comme des dieux (pour Abraham et Sara, ou Loth, comme pour Philémon et Baucis). Chez Derrida, si les textes antiques sont bien évoqués, Ulysse y deviendrait d’entrée une affaire d’interrogatoire sur le nom (p. 27 ss.), un peu comme à un poste-frontière (alors que le cyclope s’en avise plutôt tardivement, une fois enivré; et d’ailleurs qui demanderait leur nom aux anges envoyés par Dieu pour tester Sodome sur l’hospitalité, puisque l’homme pieux sait aussitôt reconnaître Dieu ou ses envoyés?). D’autre part, les femmes offertes ou données (p. 133 ss.),pour sauver l’hôte d’un viol collectif de l’hospitalité, n’ont pas toutes le prix que leur accordera en toute ingénuité un lecteur contemporain, puisqu’elles peuvent entrer dans d’autres violations ( les filles vierges de Loth vont se méconduire éminemment, donnant l’étiologie des traditionnellement haïs Ammonites et Moabites; et la concubine du lévite, qui rentrera par son corps morcelé dans une étiologie de la position de la tribu de Benjamin, était sinon infidèle [elle «putasse» contre lui, dit la Bible, selon Chouraqui], du moins avait quitté la résidence de son maître. Juges. 19).

  1. Remerciements: À Anne-Marie Granet et à Dionigi Albera, pour ce qu’ils nous ont appris par leurs travaux sur ceux qui partent des Hautes-Alpes, et sur ceux qui y viennent depuis l’Italie, même pour en repartir. À Isabelle Bœhm et Françoise Létoublon pour leur patience d’hellénistes. À Jacques Berlioz et Claude Lecouteux, toujours prêts à nous dépanner pour nous inviter à lire une référence, lorsque nous avons eu la paresse de la consulter. À Jean-Claude Duclos pour nous avoir donné une première chance de publier trois de ces témoignages en 1995 à Arvieux (Abry et Joisten, 1997, cf. infra note 17). À tous les organisateurs du colloque et de sa publication, pour nous avoir laissé la possibilité de tisser les liens qu’appellaient ces textes, liens qui sont exposés ici sous notre entière responsabilité.
  2. Selon la monographie de I. M. Boberg, Sagnet om den store Pans dod, Kopenhagen 1934.
  3. Classiques Budé: Œuvres morales, IV Dialogues pythiques. De defectu oraculorum, 17, Paris 1974, pp. 121-123.
  4. La démonstration cartographiée en a été faite dans l’Atlas de folklore autrichien ( 1979), par K. Haiding, «Sagen von den Wildleuten», in: R. Wolfram, I. Kretschmer (éd.). Österreichischer Volkskunde Atlas .Vienne 1959-1981, cartes Wildleute III: Plötzliches Scheiden der Wildleute oder anderer Wesen, durch Todesbotschaft / an die Katze oder Spitzhütel [cette dernière annonce, soit le B 342, du Motif-Index de S.Thompson, Bloomington 1966, est aussi intégrée par ailleurs à un conte comme le 113 A, King ofthe cats is dead].
  5. C. Joisten, «De quelques sources d’influences dans la formation des récits légendaires alpestres», in: Arts et Traditions Populaires 18,1-3,1970, pp. 141-158.
  6. P. Paravy, De la chrétienté romaine à la Réforme en Dauphiné.... 2 vol., Rome 1993.
  7. C. Abry et A. Joisten, «L’oralité insoupçonnée ou la rencontre par Coolidge d’un motif du récit légendaire de Polyphème», in: F. Létoublon (éd.). Actes du colloque Milman Parry (Grenoble, 14-16 septembre 1993), à paraître, pp. 337-354.
  8. Selon le beau titre du n° spécial d'Etudes rurales: D. Fabre (éd.), «Le retour des morts», in: Études rurales 105-106, 1987.
  9. On comparera une enquête linguistique, contribution au problème du non-être dans la philosophie antique, par F. Létoublon, «La notion de non-être dans l’histoire de la langue grecque archaïque», in: Revue de Théologie et de Philosophie (Mélanges Henri loly) 122, III, 1990, pp. 312-322, ici p. 320, qui rappelle au final que chez Homère: «le néant n’a pas de nom mais le <non quelqu’un) est un nom propre» (Outis, l’hypocoristique qu’Ulysse dit lui être donné par ses parents et ses compagnons, et qui le(s) protégera du cyclope). Ne serait-ce pas encore une fois rappeler que les «ruses de l’intelligence», selon l’expres-
  10. A. Laumonier, «L’errance, ou la pensée du milieu», in: Magazine Littéraire 353 (avril 1997), pp. 20-25, ici p. 20.
  11. F. de Towarnicki, «Fleidegger: errance et pensée planétaire», in: Magazine Littéraire 353 (avril 1997), pp. 40-42, ici p. 41.
  12. Laumonier, 1997 (note 13), p. 20.
  13. R. De Angelis, Gli erranti. Nuove povertà e immigrazione nelle metropoli, Roma 1991.
  14. Trois de ces récits ont été publiés une première fois dans C. Abry et A. Joisten, «Du drac aux sauvages, en passant par les Italiens et les Vaudois: un voyage à l’altitude du paysage mental des villages d’altitude», in: J.-C. Duelos (éd.). Villages d’altitude (Arvieux, 7-8 décembre 1995), Cahors 1997, pp. 69-76, avec la signalisation de leurs parentés les plus immédiates, sans que le problème de la liaison avec la troupe des esprits ne soit abordé.
  15. À une exception près, cf. infra, A. Bourgue, Vieilles coutumes. Vieilles chansons. Vieilles légendes du val d'Arvieux. Queyras, Hautes-Alpes, Cavaillon 1968.
  16. C. Abry et A. Joisten, 1997 (note 17), p. 74.
  17. Bourgue, 1968 (note 18), pp. 84-85.
  18. Cf., en dernier lieu, G. Milin, Le cordonnier de Jérusalem ..., Rennes 1997, qui comprend quelques titres récents, mais rien de nouveau sur les Alpes (notamment pas Guntern, 1968, cf. note 8).
  19. C. Abry et A. Joisten, «Le Roi Hérode en Savoie et Dauphiné: du chasseur sauvage au croquemitaine», à paraître.
  20. C. Abry et A. Joisten, Êtres fantastiques des Alpes, Paris 1995, pp. 189-190.
  21. Cette périodicité nocturne n’est pas comme le pensait C. Macherels, (cf. «Un purgatoire alpin (Lœtschental)», in: La haute montagne. Vision et représentations. Le Monde alpin et rhodanien 1-2,1988, pp. 87-112), dans le débat que nous avons eu sur les périodicités de la procession des morts en Valais, «le tohu-bohu de la Genèse». Comme nous avons eu à le préciser en note 1, p. 112 (ibid.): un périodique comme Le Soir est à périodicité journalière dont la phase à l’origine se situe le soir (vs. Le Matin). On se reportera aux références données par l’Auteur et par nous-mêmes dans ce débat, sur le Totenzug, en ajoutant à cette procession qui est loin d’être uniquement suisse, les formes du Totenvolk et du Nachtvolk bien étudiées dans l’espace alpin par K. Beitl («Die Sagen vom Nachtvolk ...», in: L. Schmidt (éd.), Wunder über Wunder tRaabser Märchen-Reihe I, Wien 1974, pp. 69-75), et qui nous rapprochent des passages et/ou assemblées nocturnes des esprits.
  22. Migratory legend n° 6045, Drinking cup stolen from the Fairies, dans le catalogue de Christiansen, The migratory legends: a proposed list of types with a systematic catalogue of the Norwegian variants, FFC n° 175, Helsinki 1958: monographie de I. Lövkrona, Det bortrövade dryckeskärlet. En sagenstudie, Lund 1982. 27 D. Laurent, «Le pot de la gogue», in: C. Abry et A. Joisten (éd.). Etres fantastiques dans les
  23. D. Laurent, «Le pot de la gogue», in: C. Abry et A. Joisten (éd.). Etres fantastiques dans les
  24. Migrâtory legend n° 4015, The midnight mass ofthe Dead. Laurent, 1992 (note 27), p. 212.
  25. Un autre avatar historique bien connu, C. Abry et A. Joisten, «<Secte> et <synagogue> dans les Alpes françaises: récits du sabbat», in C. Abry et A. Joisten (éd.), 1992 (note 27), pp. 185-191 (avec une carte).
  26. Un choix récent, dans le contexte des lois sur rimmigration, existe entre J. Derrida, Dufourmantelle invite Jacques Derrida à répondre. De l’hospitalité. Paris 1997 et le recueil de D. Fassin et al. (éd.). Les lois de l’inhospitalité. Paris 1997, soient deux ouvrages en référence plus ou moins directe au politiquement irrécupérable P. Klossowski, Les lois de l’hospitalité. Paris 1965. Le lecteur d’aujourd’hui qui ne veut pas se contenter d’une approche historique - comme dans la grande fresque de B. Geremek, La potence ou la pitié: l’Europe et les pauvres du Moyen Age à nos jours. Paris 1987 (éd. polonaise 1978)-, y verra disparaître les concepts - devenus encore plus irrécupérables que Klossowski - de la charité et de cette piété sur laquelle repose fondamentalement les actes d’hospitalité envers les hommes considérés comme des dieux (pour Abraham et Sara, ou Loth, comme pour Philémon et Baucis). Chez Derrida, si les textes antiques sont bien évoqués, Ulysse y deviendrait d’entrée une affaire d’interrogatoire sur le nom (p. 27 ss.), un peu comme à un poste-frontière (alors que le cyclope s’en avise plutôt tardivement, une fois enivré; et d’ailleurs qui demanderait leur nom aux anges envoyés par Dieu pour tester Sodome sur l’hospitalité, puisque l’homme pieux sait aussitôt reconnaître Dieu ou ses envoyés?). D’autre part, les femmes offertes ou données (p. 133 ss.),pour sauver l’hôte d’un viol collectif de l’hospitalité, n’ont pas toutes le prix que leur accordera en toute ingénuité un lecteur contemporain, puisqu’elles peuvent entrer dans d’autres violations ( les filles vierges de Loth vont se méconduire éminemment, donnant l’étiologie des traditionnellement haïs Ammonites et Moabites; et la concubine du lévite, qui rentrera par son corps morcelé dans une étiologie de la position de la tribu de Benjamin, était sinon infidèle [elle «putasse» contre lui, dit la Bible, selon Chouraqui], du moins avait quitté la résidence de son maître. Juges. 19).