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Page:Labi 1998.djvu/68

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commentaire à propos de la publication des récits recueillis par Charles Joisten sur le sabbat. Une autre «légende migratoire» est aussi présente lors qu’il arrive que le témoin identifie les convives du banquet comme étant tous des défunts de la paroisse qu’il a connus de leur vivant.[28] L’intérêt du document des fades est qu’il se rencontre à l’extrémité sud d’une zone de phénomène sabbatique, celle de la synagogue,[29] dans une zone qui, depuis les francs-maçons de Valserres, juste en amont de ces fades de Vitrolles, sur le bord de la Durance, voit se continuer le motif de la coupe du banquet fantastique, loin au nord vers le lac Léman. On ne peut bien entendu, par cette seule situation marginale, décider s’il s’agit d’une forme pré-sabbatique de l’assemblée des Morts ou des Esprits ou d’une adaptation de la synagogue au milieu narratif sur les fées, très riche de récits-types dans les Hautes-Alpes (ainsi que l’illustre la Bourouloune de notre même témoin de Vitrolles). Nos autres documents semblent pourtant renforcer cette liaison dans le sens de notre première suggestion.

Il nous aurait fallu sans doute insister davantage sur le rapport entre les fées et les morts, dans le simple but de mieux comprendre cette étrange façon de mémoriser la migrance dans l’errance, par des types de la littérature orale pratiquement inconnus du monde littéraire.

Mais, dans le cadre de ce colloque et dans l’actualité de nos tolérances/intolérances à la migrance,[30] vous aurez peut-être entendu sans difficulté deux ou trois messages de ces récits, même si ce sont fondamentalement des outils mémoriels neutres du point de vue de la morale qu’ils peuvent accueillir. Premièrement, que le prix de l’entraide, c’est le prix d’une entraide à l’aune de l’éternité, le temps de l’errance.

Deuxièmement, qu’il y a un bénéfice certain apporté par l’emploi de l’errant sauvage, lequel produit effectivement une certaine prospérité («ses moutons étaient les plus jolis du village»), sinon une abondance, disons une «suffisance» assurée, comme le font habituellement les fées.

Troisièmement, l’impossibilité pour ces êtres d’un autre monde, qui apportent un type de prospérité, d’être vraiment possédés, car l’appel du Grand Pan vient rompre à coup sûr l’engagement.

Comme les stigmatisations classiques de l’étranger, ces récits s’héritent: des sauvages, au Roi Hérode ou au Juif Errant, en passant par les Morts, les Vaudois, et enfin les Italiens. Mais on leur comparera la pauvreté des stigmatisations rappelées par les historiens - du type Italiens puis Maghrébins prompts à sortir le couteau, stéréotypes encore activés dans les «vogues».

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HISTOIRE DES ALPES - STORIA DELLE ALPI - GESCHICHTE DER ALPEN 1998/3