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L'ANNONCE DE LA MORT DU «GRAND PAN»

Avant d’entendre résonner d’autres noms, voici un appel identique, que perçoit une autre enfant d’être sauvages égarée.

Les Vaudois étaient des gens à demi-sauvages qui habitaient les montagnes, les forêts, tout à fait là-haut dessus, vers les pâturages du Lauza. Ils habitaient des masures qui se connaissent encore. Ils faisaient un peu du mur, et puis un peu de bois et de la feuille morte par-dessus. Les hommes comme les femmes avaient des cheveux très longs qui leur arrivaient sur les reins. Les hommes portaient une longue barbe, ils avaient la tresse dans le dos et les femmes avaient les cheveux battants. Ils étaient habillés en peaux et vivaient de leurs produits. Ils avaient des bêtes. Une fois, il y avait une jeune fille [vaudoise] qui était descendue, au lieu de monter vers ses parents; elle s’était égarée. Elle avait de beaux cheveux noirs très très longs. Alors nos voisins l’avaient recueillie. De temps en temps, elle écoutait, elle prêtait l’oreille. Et une fois, elle a dit dans le patois vaudois: «Mio madro / Que me sono.» Elle voulait dire: «Ma maman qui m’appelle.» Elle s’est sauvée; elle est montée vers la forêt [...]. (Mme Justine Roux, 70 ans, Puy-St-Vincent, Hautes-Alpes, 1961)

L’informatrice précisait qu’en patois de Puy-St-Vincent, on aurait dit: Mania qué nié crèio. La forme dialectale de cette mère qui «crie», d’un cri de fée, est locale; comme celle que nous allons comparer à l’instant. Et la précision du témoin est d’importance. D’une part, elle permet de vérifier que nous avons affaire à une construction dialectale, qui n’est donc pas un souvenir d’une parenté bien révolue, même par le dialecte, de ces êtres historiques hérétiques vaudois du Briançonnais, anciens persécutés de ces vallées devenus légendaires, avec ceux toujours vivants des vallées vaudoises du Piémont.[20]

D’autre part, cette précision permet enfin de comprendre le commentaire jusque-là plutôt obscur du document précédent: «Ça c’est l’italien qui dit comme ça.» Il s’agit donc bien d’une construction de mémoire de l’italien (un madré contre le maire de l’occitan dauphinois ou piémontais), et dans le même temps d’une construction de l’italien, comme étranger de langue et étranger migrant.

Mais pour lors, il y a plus radical que la construction d’une simple «étrangérité» ou «foranité» de l’italien: c’est à l’épiphanie d’une étrangeté que nous sommes conviés dans la narration. Car cet appel du père ou de la mère, qui vient ici de «sonner» à trois reprises l’être sauvage, est aussi étrange que la série des appels de ces êtres parents du Grand Pan, qui résonnent dans les Alpes et dans les contrées plus septentrionales.

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HISTOIRE DES ALPES - STORIA DELLE ALPI - GESCHICHTE DER ALPEN 1998/3