Histoire des Alpes - Storia delle Alpi - Geschichte der Alpen (1998)/08

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MIGRATIONS ET GESTIONS SAISONNIÈRES DES ALPES AUX TEMPS PRÉHISTORIQUES
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[ 91 ]MIGRATIONS ET GESTIONS SAISONNIÈRES DES ALPES AUX TEMPS PRÉHISTORIQUES


Pierre Bintz et Thierry Tillet


Zusammenfassung


Migration und saisonale Nutzung der Alpen in prähistorischer Zeit Der Nomadismus gehört zu den Grundmerkmalen der prähistorischen Jäger- und Sammlergesellschaften. Von Interesse ist die Frage, auf welche Weise und mit welchen Motiven die menschlichen Gruppen ihre Ortsveränderungen nach Massgabe ihrer Bedürfnisse und der bioklimatischen Voraussetzungen ausrichteten, wenn sie mit den Zwängen der Alpen konfrontiert wurden. In der letzten Periode der Eiszeit mit ihrer grossen Gletscherausdehnung bildete das Gebirge ein absolutes Hindernis für Menschen. Es ist also auch von Interesse, die Modalitäten des Eindringens und der saisonalen Nutzung in den Phasen vor und nach dieser Gletscherperiode miteinander zu vergleichen: Im mittleren Paläolithikum illustrieren die Funde saisonale Strategien des Vorstossens in höhere Voralpengebiete; am Ende des Jungpaläolithikums (seit 14’000 BP) und im Mesolithikum (9000-6000 BP) werden die Alpen mit den zurückkehrenden günstigen Klimavoraussetzungen wieder ein sehr attraktives Territorium, auf dem man verschiedene Formen von Migration dokumentieren kann.


Si le nomadisme est inscrit dans le statut même des sociétés de chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire, il est intéressant de comprendre comment et sous quelles motivations les groupes humains, confrontés aux contraintes de la montagne alpine, ont orienté leurs déplacements en fonction de leurs besoins et des conditions bio-climatiques. [ 92 ]Placée sous l’emprise des extensions glaciaires, la montagne a constitué, au cours de la dernière période glaciaire, un obstacle absolu à toute pénétration humaine.

Aussi est-il intéressant de confronter les modalités de pénétration et d’exploitations saisonnières au cours des périodes qui encadrent cette glaciation: au Paléolithique moyen (Moustérien) d’une part et à la fin du Paléolithique supérieur (Magdalénien et Azilien) et au Mésolithique d’autre part.


LE MOUSTÉRIEN DES ALPES ET L'EXPLOITATION SAISONNIÈRE D'UN MILIEU MONTAGNARD


Thierry Tillet

Les sites moustériens alpins et jurassiens se subdivisent en trois groupes: les stations de plein air, les gisements en grotte ou sous abri très anthropisés et les gisements en cavité à indices de passage humain. Ce qui distingue principalement les trois groupes, c’est la fonction même des gisements. En effet, les stations de plein air d’altitude apparaissent plutôt, dans l’ensemble, liées à des stratégies d’approvisionnement en matière première siliceuse. Autrement dit, la plupart des gisements de plein air dans l’arc alpin sont des ateliers de taille ou «ateliers-habitats». Les gisements fortement anthropisés, à l’entrée des grottes ou sous abri, semblent plutôt liés à des stratégies d’exploitation saisonnière des ressources animales. Quant aux gisements en cavité, à indices de passage humain, ils correspondent plus à des gisements paléontologiques où les quelques artefacts lithiques ne constituent que des intrus. La présence de ces artefacts au milieu des vestiges de faunes (en particulier l’ours spéléen) est due, le plus souvent, à un apport naturel par ruissellement ou «charriage à sec» depuis le porche de la grotte, où une installation néandertalienne très ponctuelle a eu lieu. Les grottes comportant des industries moustériennes du pourtour de l’arc alpin sont presque toujours des repaires hiémaux d’ours spéléens, et par conséquent correspondent plutôt à des gisements paléontologiques où les deux occupations - l’une en profondeur et l’autre sous porche - sont alternatives. Les liens entre ces deux occupations sont loin d’être établis, si lien il y a eu. Ce sujet fut à l’origine d’une méprise considérable qui fit couler beaucoup d’encre au cours d’une grande partie de ce siècle... [ 93 ]Fig. 1: Carte des sites moustériens en grotte dans les Alpes

1 Grottes de Prélétang, Bury Marignat et du Grand-Serre

2 Grotte de la Passagère

3 Grotte des Eugles

4 Grottes des Soyons

5 Grotte des ours à Châteaubourg

6 Grotte du Fournet

7 Grotte de la Tessonière

8 Grotte d’Orgnac 3

9 Grotte du Baré (Onnion)

10 Grotte de Payre-le-Pouzin

11 Grotte de St-Brais

12 Grotte de Casamène

13 Grotte de Cotencher

14 Grotte des Plaints

15 Grotte de Cigny

16 Grotte de Gondenans les


Moulins

17 Grotte d’Enchoz-la-Méline

18 Grottes du Monfénéra

19 Grotte Bucca del Piombo

20 Grotte de Wildkirchli

21 Grotte de Fumane

22 Grotte de Repoulst

23 Grottes des Balmes-de-


Villereversure

24 Grotte de la Chênelaz

25 Grotte de Drachenhôhle

26 Grotte de la Piquette (Rurey)

27 Grotte de Divie Babe I [ 94 ]Il n’est plus possible de parler d’une culture alpine distincte pour le Moustérien ni d’une adaptation homogène au milieu alpin. Les variétés d’industries parmi les gisements montrent plutôt une diversité dans la gestion saisonnière de ce milieu de contrainte. Cependant, est-il possible d’interpréter les ensembles lithiques en termes d’activité saisonnière de caractère transitoire ou/et en termes de stratégies («organizational variability» suggéré par Lewis Binford)?

On a constaté que les ensembles lithiques présentent, dans les milieux d’altitude, une typologie appauvrie en nombre de types, mais n’oublions pas que certaines activités de chasse nécessitent parfois l’utilisation d’armes en bois (pieux, etc). Ces armes, qui évidemment ne se sont pas conservées, pouvaient prendre alors la place d’autres à armatures lithiques, expliquant peut-être en partie la faiblesse de la diversité typologique. Le type même de chasse comporte un certain nombre de contraintes dont les trois principales sont fortement liées. Il s’agit de:

1) la contrainte liée aux espèces chassées; 2) la contrainte liée au but de la chasse (viande, peau, suif, etc.); 3) la contrainte liée aux risques encourus (animal dangereux ou non dangereux).

Au sujet de cette dernière contrainte, il est évident que la performance de l’arme1 l’emporte largement sur le style.[1]

Nous savons que la mobilité saisonnière d’un groupe n’est pas conciliable avec le transport d’un stock conséquent d’outils et que par conséquent le pourvoi et la maintenance de l’outillage devaient avoir nécessairement lieu sur le parcours de déplacement. La stratégie, mise en place avant le départ, devait être alors pensée en terme d’«approvisionnement intégré»[2] par des groupes qui connaissaient bien les potentialités en matière première des zones à traverser. Il semble, d’après les données ci-dessus revues, que l’objectif premier des groupes qui se sont installés à l’entrée des cavités alpines était l’approvisionnement en matières premières animales. Cependant, nous ne pouvons affirmer que c’était là le seul objectif du groupe au moment de son départ pour les zones d’altitude. L’approvisionnement en matières premières siliceuses était-il seulement pensé en terme de renouvellement d’un outillage utile pendant le séjour saisonnier en altitude, ou faisait-il partie également des ressources à importer dans les habitats de plaine? Cette question est importante et demande la mise en place d’un programme d’évaluation de la circulation des matières premières siliceuses d’origines alpines au cours du [ 95 ]Paléolithique moyen. Cependant, ce qui est valable dans un sens, l’est également dans l’autre, et le transport de matières premières lithiques lors du retour devait nécessairement être limité à quelques éléments de l’outillage confectionné en montagne, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de transporter les éléments des ressources pour lesquelles le voyage a été organisé.

Si le transport, au cours du Paléolithique moyen, de certains silex des Alpes pouvait être dans l’avenir prouvé par leur présence dans des gisements situés dans les plaines environnantes, nous serions obligés de reconsidérer la question de l’importance des groupes, que nous estimons jusqu’à maintenant comme étant relativement limitée. Il ne faut pas oublier que les plaines, situées en dehors de l’enceinte montagneuse, comportent également des ressources en matières premières siliceuses et que par conséquent, si certains silex des Alpes ont été transportés dans les habitats, cela voudrait nécessairement dire que ces silex d’altitude étaient de meilleure qualité. Nous pensons que l’approvisionnement en matière première ne pouvait alors se faire - vu les distances à parcourir - que sous forme de produits finis, limitant le transport au seul volume utilisable. Cette stratégie fut peut-être celle des Néandertaliens qui exploitèrent, à Jiboui (Haut Diois), les rognons et plaquettes de silex de Belmotte. Quoi qu’il en soit, ces ressources minérales exploitées ne pouvaient être que situées dans des secteurs marginaux de la montagne, comme à Jiboui par exemple. Le Vercors est dans ce domaine exceptionnel, car bon nombre des matières premières exploitées au Moustérien dans les Préalpes autrichiennes, le Jura suisse et les Préalpes d’Appenzell, ne présentent pas la qualité des silex du Val de Lans, de Vassieux ou de Belmotte. Par conséquent, il n’était probablement pas question d’exploiter les matières premières de moins bonne qualité pour une exportation. D’ailleurs,dans certains gisements comme Cotencher (Jura suisse), il semble que l’importation de silex, sous forme d’outils finis, se soit faite depuis la Vallée du Rhône, donc dans le sens plaine - montagne et non dans l’autre sens...

V. Gabori-Csank a montré que les gisements en grotte des Préalpes autrichiennes se rattachaient au Moustérien d’Europe sud-orientale auquel appartient le gisement d’Erd en Hongrie.[3] Cotencher comporte, comme nous venons de le dire, des éléments de matière première venant du bassin rhodanien. Des liens sont certainement à rechercher également entre les gisements sud-orientaux des Alpes juliennes et des Dolomites. Les industries des gisements du Vercors et celles de la grotte des Eugles en Char[ 96 ]treuse présentent de très grandes similitudes, mais la reconnaissance de ces similitudes n’est-elle pas influencée par le caractère concassé des artefacts? Il est bien évident qu’il ne faut pas rechercher de liens entre les gisements du Vercors et ceux des Préalpes autrichiennes par exemple, les contraintes d’un milieu de très haute altitude auraient obligé les Néandertaliens à utiliser des voies contournant les hautes chaînes et par conséquent à parcourir des distances considérables, non compatibles avec des stratégies saisonnières de mobilité économique. Il est donc prématuré de parler de voies de pénétration en dehors des seules constatations de possibilités et d’impossibilités. Nous ne croyons pas que l’on puisse parler de déplacements au «long cours», la position des gisements sur les marges de l’arc alpin et du Jura laisse plutôt subodorer un déplacement limité aux zones de basse et moyenne montagne proches des plaines et vallées périphériques, comportant les camps de base. Les liens entre gisements des plaines et gisements d’altitude ne peuvent pas être recherchés par la seule analyse typologique.

En effet, la saison et les durées d’occupation, les fonctions des sites, la composition et l’importance des groupes, les contraintes topographiques, les contraintes climatiques et celles liées aux espèces animales chassées entraînent forcément des différences entre sites de plaine et sites de montagne. Cependant, si la composition d’un ensemble typologique lié à une exploitation cynégétique saisonnière d’un milieu contraignant sera appauvrie en nombre de type, cette composition ne reflétera pas forcément non plus les objectifs principaux du groupe pendant le déplacement puisque la hiérarchie des outils dans un ensemble ne sous-entend pas que l’outil principal des chasseurs néandertaliens soit le plus représenté. En effet, dans des gisements correspondant à de courtes haltes de chasse, les outils abandonnés témoignent de l’activité dans le campement, alors que ceux utilisés pour la chasse sont abandonnés - lorsqu’ils sont rendus inutilisables - sur les parcours empruntés pour cette autre activité. [ 97 ]DES DERNIERS CHASSEURS-CUEILLEURS AUX PREMIERS PASTEURS-AGRICULTEURS: VERS UNE EXPLOITATION ALTERNÉE ENTRE PLAINE ET MONTAGNE


Pierre Bintz


À la fin de la glaciation würmienne, les Alpes redeviennent attractives pour les hommes qui installent leurs premiers campements dès 13’500 ans av. J.-C.5 environ.[4] À partir de cette période, la documentation devient plus abondante et chronologiquement bien étayée, et la reconstruction des paléoenvironnements mieux maîtrisée. Dans cette présentation nous nous limiterons aux Alpes du Nord françaises qui ont livré près de 150 sites totalisant environ 250 occupations culturelles.

Les hommes connaissent une grande mobilité dans un territoire complètement vierge, mais leurs déplacements n’ont pas tous la même signification. Il y a les migrations à longue distance des hommes mais aussi de leurs idées et de leurs objets, et les déplacements sur des courtes distances liés aux activités d’exploitation des ressources animales, végétales et minérales. Dans cet intervalle de temps qui va de 13’500 à 5000 av. J.-C. environ et qui concerne la période des derniers chasseurs exclusifs aux premiers pasteurs-agriculteurs, se développent deux ensembles culturels qui répondent à des modes de vie différents: le Paléolithique final, englobant les cultures du Magdalénien supérieur et de l’Azilien (ou de l’Épipaléolithique), et le Mésolithique (jusqu’à la néolithisation).

Vers 13’500 av. J.-C., le Magdalénien supérieur diffuse à partir du couloir rhodanien. Premiers occupants de la montagne alpine après la glaciation würmienne, les magdaléniens sont venus exploiter un territoire en cours de repeuplement animal et végétal; il se fait à la faveur d’un réchauffement climatique généralisé comme en témoignent les données paléoenvironnementales très complètes fournies par le site de St.Thibaud dans le massif de la Chartreuse.[5] La circulation des hommes est favorisée par un milieu ouvert (steppe-toundra) et les déplacements sont en grande partie liés aux migrations saisonnières des grands herbivores tels que renne, cheval, bison, qui suivent les axes naturels. À cette activité cynégétique nécessitant des déplacements sur des longues distances s’ajoute une chasse plus locale se développant sur les contreforts des massifs; il concerne un gibier arctico-alpin tel que bouquetin, marmotte, lièvre variable, lagopède, qui y trouve [ 98 ]des conditions bio-climatiques favorables. Les implantations se font essentiellement dans les vallées majeures (Isère, Rhône, Ain, fig. 2). Quelques incursions au cœur des massifs sont notées jusqu’à 1000 m d’altitude en Vercors (grottes de Méaudre, de Bobache, des Freydières, sites de plein air de La Chapelle-en-Vercors ou du Val de Lans) et dans le Jura méridional (Haute-ville-Lompnès). Les habitats s’installent de préférence à proximité d’une rivière et les abris ou grottes sont généralement orientés au sud ou à l’ouest.

On peut formuler l’hypothèse que les sites étaient organisés en réseau avec des fonctions bien définies:

- en plaine, des camps de base à activités polyvalentes auxquelles s’ajoutent des activités plus spécifiques telles que le travail du bois de renne, les activités artistiques ou la pêche (abri et grotte de St. Nazaire-en-Royans,Cite error: Invalid <ref> tag; refs with no name must have content grotte des Romains à Virignin, abri Gay à Poncin, La Colombière à Neuville-sur-Ain,Cite error: Invalid <ref> tag; refs with no name must have content abris sous blocs du SalèveCite error: Invalid <ref> tag; refs with no name must have content).

- des sites de passage à l’endroit des cols représentent des habitats de courte durée qui peuvent être interprétés comme des camps relais (La Fru,Cite error: Invalid <ref> tag; refs with no name must have content St. Thibaud).Cite error: Invalid <ref> tag; refs with no name must have content

- des camps avancés de montagne qui témoignent d’activités spécialisées comme la chasse à la marmotte pour les peaux ou l’exploitation de gîtes siliceux (grottes de Méaudre,Cite error: Invalid <ref> tag; refs with no name must have content abri des Freydières,Cite error: Invalid <ref> tag; refs with no name must have content col de la CharmetteCite error: Invalid <ref> tag; refs with no name must have content).

À la fin de la période paléolithique, à partir de 11'000 av. J.-C., les hommes remontent le réseau hydrographique secondaire, s’installent au cœur des massifs (La Balme-de-Thuy[6]) et font des incursions dans des zones d’altitude, jusqu’à 1800 m.[7] La faune chassée ne comporte plus d’espèces de climat froid, qui ont été remplacées par le cerf et le bouquetin.

Annotations fig 2:

Seuls les gisements cités dans le texte sont numérotés.

1 = Abri de Campalou et grotte duTaï, St. Nazaire-en-Royans (Drôme);2 = Abri de Bobache, La Chapelle-en-Vercors (Drôme); 3 = Abri des Freydières, St. Agnan-en-Vercors (Drôme); 4= Cimetière, La Chapelle-en-Vercors (Drôme); 5 = Grottes de Méaudre (Isère); 6 = Clos de Lans, Lans-en-Vercors (Isère); 7 = Col de la Charmette, Proveysieux (Isère); 8 = La Fru et Gerbaix, St. Christophe (Savoie); 9 = St. Thibaud-de-Couz, (Savoie); 10 = Abri de la Vieille Eglise, La Balme-de-Thuy, (Hte. Savoie); 11 = Abris sous blocs du Salève, Bossey, (Hte. Savoie); 12 = Grotte de Pierre Châtel, Virignin (Ain); 13 = Abri Gay.Poncin (Ain); 14 =Abri de la Colombière, Neuville-sur-Ain (Ain).

Localités: L: Lyon; B: Bourg; A: Annecy; C: Chambéry; G: Grenoble; D: Die; V: Valence; P: Privas; M: Montélimar; G: Gap. [ 99 ]Fig. 2: Carte des sites du Paléolithique final dans les Alpes du Nord françaises

[ 100 ]Le Mésolithique, qui débute vers 9000 av. J.-C., inaugure la période des derniers grands chasseurs de la préhistoire. Le milieu végétal se ferme par l’emprise généralisée de la forêt dont la limite supérieure atteint, à l’optimum climatique,[8] 2000 m d’altitude, ce qui gêne considérablement le déplacement des hommes. Le gibier est moins grégaire (cerf, sanglier, chevreuil, bouquetin) et plus difficile à chasser. Il nécessite des déplacements incessants, sur de courtes distances et toute l’année mais principalement pendant la belle saison. L’utilisation de l’arc et de flèches armées de microlithes, souvent d’allure géométrique, se généralise. La miniaturisation de l’outillage lithique permet l’utilisation d’un silex de moins bonne qualité et en quantité plus réduite, que le chasseur peut récolter au gré de ses déplacements. Les cultures sont dans l’ensemble fortement marquées par des influences méridionales qui remontent le couloir rhodanien mais empruntent également l’axe Durance-Buech-sillon alpin. Ces cultures participent à la grande nappe de diffusion du Sauveterrien et du Castelnovien qui couvre le sud de la France et le nord de l’Italie. Certaines parures attestent même des échanges transalpins.[9] Au Mésolithique final et au Néolithique ancien, qui voient apparaître les premières céramiques vers 5000 av. J.-C., on note des influences venant du Jura, du Plateau suisse et probablement du Valais (Balme-de-Thuy).

La carte de répartition des sites (fig. 3) montre un relatif abandon des sites de plaine en bord de rivière et une multiplication des sites d’altitude, en plein air, exceptionnellement en abris sous bloc, entre 1400 et 1800 m.[10] Ce mouvement général concerne aussi bien les Alpes centrales que les Alpes orientales.[11] Les campagnes de prospections préalables aux grands travaux qui se sont déroulées ces dernières années dans la vallée du Rhône n’ont curieusement révélé que peu de sites mésolithiques le long de cet important couloir de circulation. Par contre, les circulations «intra-massif» se sont développées; elles correspondent à la recherche de nouveaux territoires de chasse situés à la limite supérieures de la forêt. Par ailleurs, un nouvel axe de circulation plus interne, empruntant le sillon alpin, est utilisé à partir

Annotations fig. 3:

Seuls les gisements cités dans le texte sont numérotés.

1 = Bouvante (Drôme); 2 = Pas de l’Aiguille, Chichilianne (Isère); 3 = Pas de la Charmate, Châtelus ( Isère ); 4 = La Grande Rivoire, Sassenage ( Isère ); 5 = La Fru, St. Christophe ( Savoie ); 6 = Aulp du Seuil, St. Bernard-du-Touvet (Isère); 7 = Culoz ( Ain); 8 = La Chênelaz, Haute-ville-Lompnès (Ain). [ 101 ]Fig. 3: Carte des sites du Mésolithique et du Néolithique ancien

[ 102 ]du Mésolithique. Il permet des incursions dans les massifs cristallins externes pour la chasse mais également pour l’approvisionnement en quartz hyalin ou cristal de roche.[12]

Du point de vue fonctionnel, on peut distinguer trois ensembles de gisements: les sites de piedmont, qui devaient représenter les camps de bases, apparaissent davantage orientés vers les activités polyvalentes (La Grande Rivoire, La Fru, Culoz), les sites d’altitude essentiellement voués aux activités de chasse (Pas de l’Aiguille, Aulp du Seuil), et, entre les deux, les camps-relais qui montrent une forte activité de façonnage de l’outillage (Bouvante, Pas de la Charmate) (fig. 4).

Au total, on assiste à une gestion alternée entre plaine et montagne nécessitant de nombreux déplacements saisonniers sur de courtes distances. Toutefois les quelques éléments qu’on possède sont contraires au schéma simpliste habituellement admis d’une montée en altitude l’été et d’un repli hivernal en piedmont. En effet, les périodes de chasse, déduites de certains caractères dentaires présentés par les individus juvéniles, s’étalent sur toute l’année. Ce mode de gestion prépare les sociétés préhistoriques à la pratique de la transhumance qui se développera à partir du Néolithique final.


CONCLUSION

En conclusion, on peut dégager trois enseignements principaux:

1) Si la montagne alpine induit des comportements spécifiques dans les activités d’exploration et d’exploitation du territoire montagnard, elle ne constitue pourtant pas un monde clos, fermé sur les groupes humains; elle apparaît plutôt comme un pôle d’attraction, ouvert aux influences périphériques (y compris transalpines) et donne l’image d’une région de carrefour.

2) La mobilité des hommes, des objets et des cultures constatée à toutes les échelles spatiales ne concerne dans un premier temps que les massifs externes, situés à l’ouest du sillon alpin; celui-ci ne sera franchi qu’à partir du Mésolithique qui inaugure une nouvelle voie de circulation, largement utilisée à partir du Néolithique pour la pénétration des massifs internes.

3) Sur le plan des comportements, les déplacements des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique et du Mésolithique sont essentiellement tributaires des conditions bio-climatiques et des approvisionnements en matières premières. L’homme apprend à reconnaître la diversité biologique et physique du milieu [ 103 ]Fig. 4: Répartition altitudinale des sites de la fin du Paléolithique supérieur au Mésolithique-Néolithique ancien: exemple du massif du Vercors


Piedmont Falaise Vallée Hauts Falaise et colstplateauxtet cols


Magdalénien supérieur et Epipaléolithique


Mésolithique moyen


Mésolithique récent et Néolithique ancien


Grotte et abri Plein air Camp de base Camp relais ■ □ Camp saisonnier d’altitude □ D Halte de chasse ou raid d’exploration • O [ 104 ]alpin et à en tirer un maximum de profit. À partir du Néolithique les activités des pasteurs-agriculteurs s’insèrent dans une gestion maîtrisée alternant l’exploitation de la plaine et de la montagne; si la chasse en domaine d’altitude reste une activité importante, elle a cessé d’être le principal moteur des déplacements humains.


Notes

1 R. Torrence, «Time Budgeting and Hunter-Gatherer Technology», in: G. Bailey (éd.). Prehistory: A European Perspective, New York 1983, pp. 11-22.

2 H. M. Wobst, Stylistic behavior and information exchange. University of Michigan Museum of Anthropology Paper 61,1977.

3 C. Perlés, «Economie des matières premières et économie du débitage: deux conceptions opposées?», in: 25 ans d’études technologiques en Préhistoire, Xle Rencontres Internationales d’Archéologie d’Antibes, Éditions APDCA, Juan-les-Pins 1991, pp. 35-45, en partie, p. 42.

4 V. Gabori-Csank, La station du Paléolithique moyen d’Erd-Hongrie, Akademiai Kiabo, Budapest 1968, p. 253.

5 Toutes les dates sont des dates réelles avant J.-C. obtenues après calibration des dates radiocarbone.

6 J. Evin, P. Bintz et G. Monjuvent, «Human settlements and the last déglaciation in the French Alps», in: Radiocarbon 3, 1994, pp. 345-357.

7 P. Bintz et al., «Les grottes Jean-Pierre 1 et 2 à St. Thibaud-de-Couz (Savoie). Paléoenvironnement et Cultures duTardiglaciaire à l’Holocène dans les Alpes du Nord», in: Gallia Préhistoire 36,1ère partie, chronostratigraphie et paléoenvironnement, 1994, pp. 145-266.

8 J.-L. Brochier et J.-E. Brochier, «L’art mobilier de deux nouveaux gisements magdaléniens à St. Nazaire-en-Royans (Drôme). La grotte du Taï et l’abri Campalou», in: Etudes Préhistoriques 4,1973, pp. 1-12. J.-L. Brochier et J.-E. Brochier, «Les sites magdaléniens et aziliens de la grotte du Taï et de l’abri de Campalou à St. Nazaire-en-Royans», in: Epipaléolithique et Mésolithique en Europe, Ve congrès international UISPP (commission XII), 18-23 sept. 1995, Grenoble 1995, livret-guide, vol. 1, pp. 144-147.

9 R. Desbrosse, «Le Paléolithique du Jura méridional», in: Bull. de l’Assoc. Franç. d’Etudes du Quaternaire 3, 1980, pp. 135-142.

10 J.-M. Roche, «Les gisements mésolithique et épipaléolithiques du Val de Lans», in: Epipaléolithique et Mésolithique en Europe. Ve congrès international UISPP (commission XII), 18-23 sept. 1995, Grenoble 1995, livret-guide, vol. 1, pp. 70-72.

11 G. Pion et al., «L’abri de La Fru à St. Christophe (Savoie)», in: Gallia Préhistoire 32,1990, pp. 65-123.

12 P. Bintz et al., 1994 (cf. note 7). De même P. Bintz et al., «Les grottes Jean-Pierre 1 et 2 à St.Thibaud-de-Couz (Savoie). Paléoenvironnement et Cultures duTardiglaciaire à l’Holocène dans les Alpes du Nord», in: Gallia Préhistoire, 37,1ère partie, la Culture matérielle, 1995, pp. 155-328.

13 G. Monin, Approche technologique des assemblages lithiques du Tardiglaciaire des grottes de la Passagère et Colomb à Méaudre (Vercors-Isére), Mémoire de DEA présenté à l’Université de Provence d’Aix en Provence, 1997, 144 p.

14 A. Bocquet et al., «La grotte des Freydières à St. Agnan-en-Vercors (Drôme), gisement du Magdalénien final», in: Bull. de la Soc. Préhist. française 70, 1973, pp. 324-336.

15 Bintz et al., 1995 (cf. note 12). [ 105 ]16 J.-P. Ginestet et al., «L’abri sous roche de la Vieille Église à la Balme-de-Thuy (Hte. Savoie), premiers résultats», in: Bu!!. de la Soc. Préhist. française 81, 1984, pp. 320-342.

17 P. Bintz et R. Picavet, «Deux exemples de paléospéléogenèse sur les Hauts Plateaux du Vercors: la grotte du Campagnol et la grotte Charbonnière. Actes des rencontres archéologiques Rhône-Alpes», in: ARENERA. Archéologie des grottes. 1992, pp. 55-62.

18 S. Thiébault et P. Bintz, «Les grottes du Vercors et les massifs subalpins: milieu végétal et archéologie. Entretiens préhistoriques de géo-archéologie, 18-23 sept. 1995, Lyon», in: Doc. dArchéo. en Rhône-Alpes: Dynamique du Paysage (sous presse). Wegmüller,Po//e«-analytische Untersuchungen zur spät- und postglazialen Vegetationsgeschichte der Französischen Alpen (Dauphiné).Thèse, Bern 1977.

19 Voir la contribution de J. Cattalioti in Pion, 1990 (cf. note 11).

20 P. Bintz et al.. Occupations territoriales au Mésolithique et au Néolithique ancien en Vercors et en Chartreuse: programme de prospection thématique et premiers résultats. Premières rencontres méridionales de Préhistoire récente. Valence 3-4 juin 1994 (sous presse).

21 A. Broglio, «Le Mésolithique des Dolomites», in: Preistoria Alpina - Museo Tridentino di Scienze Naturali, 28/1, 1992, pp. 311-316.

22 S. Cousseran, A. Pecher et P. Bintz, «Quartz taillés à inclusions fluides de quelques sites préhistoriques des Alpes du Nord françaises», in: Cahiers d'Archéologie Romande (à paraître) (Table ronde Epipaléolithique et Mésolithique ’97, Lausanne,21-23 novembre 1997).

  1. 2 H. M. Wobst, Stylistic behavior and information exchange. University of Michigan Museum of Anthropology Paper 61,1977.
  2. 3 C. Perlés, «Economie des matières premières et économie du débitage: deux conceptions opposées?», in: 25 ans d’études technologiques en Préhistoire, Xle Rencontres Internationales d’Archéologie d’Antibes, Éditions APDCA, Juan-les-Pins 1991, pp. 35-45, en partie, p. 42.
  3. 4 V. Gabori-Csank, La station du Paléolithique moyen d’Erd-Hongrie, Akademiai Kiabo, Budapest 1968, p. 253.
  4. 6 J. Evin, P. Bintz et G. Monjuvent, «Human settlements and the last déglaciation in the French Alps», in: Radiocarbon 3, 1994, pp. 345-357.
  5. 7 P. Bintz et al., «Les grottes Jean-Pierre 1 et 2 à St. Thibaud-de-Couz (Savoie). Paléoenvironnement et Cultures duTardiglaciaire à l’Holocène dans les Alpes du Nord», in: Gallia Préhistoire 36,1ère partie, chronostratigraphie et paléoenvironnement, 1994, pp. 145-266.
  6. 16 J.-P. Ginestet et al., «L’abri sous roche de la Vieille Église à la Balme-de-Thuy (Hte. Savoie), premiers résultats», in: Bu!!. de la Soc. Préhist. française 81, 1984, pp. 320-342.
  7. 17 P. Bintz et R. Picavet, «Deux exemples de paléospéléogenèse sur les Hauts Plateaux du Vercors: la grotte du Campagnol et la grotte Charbonnière. Actes des rencontres archéologiques Rhône-Alpes», in: ARENERA. Archéologie des grottes. 1992, pp. 55-62.
  8. 18 S. Thiébault et P. Bintz, «Les grottes du Vercors et les massifs subalpins: milieu végétal et archéologie. Entretiens préhistoriques de géo-archéologie, 18-23 sept. 1995, Lyon», in: Doc. dArchéo. en Rhône-Alpes: Dynamique du Paysage (sous presse). Wegmüller,Po//e«-analytische Untersuchungen zur spät- und postglazialen Vegetationsgeschichte der Französischen Alpen (Dauphiné).Thèse, Bern 1977.
  9. 19 Voir la contribution de J. Cattalioti in Pion, 1990 (cf. note 11).
  10. 20 P. Bintz et al.. Occupations territoriales au Mésolithique et au Néolithique ancien en Vercors et en Chartreuse: programme de prospection thématique et premiers résultats. Premières rencontres méridionales de Préhistoire récente. Valence 3-4 juin 1994 (sous presse).
  11. 21 A. Broglio, «Le Mésolithique des Dolomites», in: Preistoria Alpina - Museo Tridentino di Scienze Naturali, 28/1, 1992, pp. 311-316.
  12. 22 S. Cousseran, A. Pecher et P. Bintz, «Quartz taillés à inclusions fluides de quelques sites préhistoriques des Alpes du Nord françaises», in: Cahiers d'Archéologie Romande (à paraître) (Table ronde Epipaléolithique et Mésolithique ’97, Lausanne,21-23 novembre 1997).