La Kunst- und Wunderkammer d’Ambras est tout à la fois le reflet des ri- chesses naturelles de l’arc alpin et le témoin de la volonté hégémonique de la maison des Habsbourgs dans le Nouveau Monde.[6] Le cabinet de curiosités de l’archiduc présente les richesses de l’univers avec une volonté didactique de représentation du monde, tout en montrant l’intérêt des princes germaniques pour les collections minéralogiques et zoologiques locales des Alpes: sud de l’Allemagne, Autriche et provinces du nord de l’actuelle Italie.[7] À Ambras, la disposition des collections d’animaux exotiques, fidèle à l’Inventaire après- décès de l’archiduc Ferdinand II en 1596, précède les collections de curiosités des Alpes. Quatre animaux marins suspendus au plafond du cabinet devancent un ours abattu par l’archiduc Ferdinand et des bois de cerf.[8] Plus évocatrice encore que la reconstitution actuelle, certes fidèle, du cabinet de curiosités, la lecture de l’inventaire après décès de l’archiduc Ferdinand daté de 1596 montre tout d’abord que le plafond du cabinet était entièrement recouvert d’animaux.[9] L’inventaire permet également d’établir la préséance des collections exotiques sur les collections alpines, tant par la position qu’elles occupent au sein de l’inventaire que par leur écrasante majorité en nombre de spécimens. Parmi les spécimens appendus, on compte, entre autres, pas moins de sept crocodiles, une défense d’éléphant, quatre cornes de rhinocéros et autres cornes de gazelle, cinq nageoires de grands poissons et une tête d’éléphant entraînés par un premier grand crocodile.[10]
Nous avons retrouvé, dans notre étude sur la création du cabinet d’histoire naturelle de Grenoble, cette préséance des collections exotiques sur les collec- tions locales, avec ce premier achat par Gagnon d’un objet d’histoire naturelle destiné aux collections étrangères - le veau marin - réflexe hérité des anciens cabinets de curiosités. L’intérêt double des «savants allemands» en relation avec Grenoble pour les collections locales et exotiques peut expliquer un intérêt similaire chez les Dauphinois pour les exotica des cabinets de curiosités qu’ils léguèrent au cabinet d’histoire naturelle de Grenoble. Avec leurs matériaux exotiques associés aux objets autochtones et européens, Horst Bredekamp a vu dans les cabinets de curiosités germaniques, ancêtres des muséums d’histoire naturelle, les premiers témoins d’une ethnologie capable de porter respect à une culture étrangère.[11] De la même façon, nous avons observé dans la constitution des collections étrangères du cabinet d’histoire naturelle de Grenoble la volonté des Dauphinois de dépasser les frontières de leur province en s’intéressant à d’autres cultures. Tout comme dans les cabinets de curiosités germaniques, les collections exotiques du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble ont ainsi