Page:Labi 1998.djvu/257

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Le premier exemple concerne une migration de la très longue durée, celle des régents d’école, qui depuis le début du 16e siècle vont s’engager pour la saison hivernale dans les villages du Comtat venaissin, du Dauphiné et de la Provence. Ainsi, en 1504, Pierre Brutinel de Saint Véran et Jean Vasserot d’Aiguilles enseignent la jeunesse du Crestet et de Caderousse.[10] Migration de la longue durée puisque tout au long des siècles suivants, et en particulier tout au long du 18e siècle, les migrants s’engagent de plus en plus loin.[11] Ils sont même devenus une figure littéraire, évoquée par V. Hugo dans les Misérables, mais aussi par les enquêteurs et les voyageurs du début du 19e siècle, qui popularisent ces colporteurs en écriture, identifiés par leurs plumes au chapeau.

Dans cette tradition de la longue durée, il faut citer les travaux de R. Chanaud et ceux récemment publiés par H. Falque-Vert,[12] qui permettent de prendre la mesure de la fréquence des habitudes migratoires des communautés de part et d’autre de l’actuelle frontière entre Briançonnais et Piémont, au cœur du Moyen Âge. C’est grâce aux relations commerciales suivies que ces communautés ont, en particulier, pu dégager la somme nécessaire au rachat de leurs privilèges et mettre en place le système des Escartons. L’étude plus circonscrite d’Harriet Rosenberg,[13] à propos d’Abriès, a aussi montré comment, tout au long des 17e et 18e siècles, cette bourgade de 1900 habitants entretenait des relations suivies, tant pour la transhumance que pour d’autres échanges commerciaux, de part et d’autre de la frontière[14] et comment cette activité a contribué à apporter d’importantes ressources à une grande partie de ses habitants.

Bref, il n’est pas exagéré de dire que migrer est un des traits constitutifs de la société queyrassine et briançonnaise.[15] Il reste clair que les coupures chronologiques séculaires n’ont guère de pertinence pour l’étude des migrations, d’où mon choix de les considérer sur un 19e siècle élargi. En second lieu, il faut insister sur la complexité de ces mouvements migratoires. Coexistent une alternance des départs et des retours des habitants, longtemps majoritairement les hommes, avec des passages nombreux et répétés de migrants piémontais qui se contentent de traverser le pays ou qui y séjournent pour s’engager comme domestiques pendant la courte saison des travaux des champs. Le balancement des départs saisonniers suivis des départs définitifs, s’il correspond à une réalité, ne rend compte que d’une partie du fonctionnement de ces mouvements. Il en va de même des facteurs habituellement avancés, qui retiennent uni

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GRANET-ABISSET: COMMERCE ET INSTRUCTION