territoires partageait une organisation similaire d’autoadministration et possédait des prérogatives obtenues par le rachat d’un certain nombre de privilèges.[6] La frontière avec le Piémont, officielle en 1713, ne devient véritablement effective qu’un siècle plus tard, avec la fin du système des Escartons, mais les échanges privilégiés entre les communautés continuent à exister de part et d’autre de la ligne de crête. Espace frontière enfin, en raison de la convergence des influences méditerranéennes[7] et septentrionales. La longue appartenance au Dauphiné crée des habitudes et des relations, au même titre que celles plus classiques vers la Provence et les espaces méditerranéens.
Pour en revenir à l’interrogation initiale, la formule proposée n’est pas sans surprendre, puisque sont évoqués deux métiers plus classiquement associés aux communautés du «plat pays». Ils sont beaucoup plus rarement attribués aux sociétés rurales de montagne plus traditionnellement présentées par les mémoires savantes (historiens et érudits) mais aussi par la mémoire commune, comme des sociétés du retard, sur les plans politique, économique, social et culturel. Voilà une proposition en parfaite contradiction avec l’image de pays isolés, fermés, cloisonnés, habités par des paysans besogneux et médiocres.
Déformation, reconstruction de la mémoire, dira-t-on. Pourtant cette récurrence, chez la plupart des témoins rencontrés et qui ont livré le récit de leur parcours personnel ou familial, renvoie sans conteste à une réalité. Celle-ci doit nécessairement être prise en compte malgré un raccourci fictionnel évident. Certes, il n’entre pas dans mon propos immédiat de décortiquer ces mémoires, de déconstruire ces récits de vie pour faire émerger des faits et des représentations, de conduire une analyse de la mémoire et de ses significations.[8] Je me contenterais dans ce cadre précis, de reprendre les trois termes proposés, «commerce», «instruction» et «mobilité organisée», non pour seulement les détailler mais pour les insérer dans l’optique d’une approche de la nature des migrations queyrassines. Ajoutons également que la perspective retenue s’inscrit plus largement dans l’idée que les migrations sont une clef de lecture, si ce n’est de relecture, de l’essence même de ces sociétés alpines qui produisent ces migrations.
La première remarque, essentielle pour définir ces migrations alpines, est de rappeler leur inscription dans la longue durée. Nombreux sont les exemples qui attestent d’un tel ancrage dans le temps long. Trois exemples significatifs éclairent cette réalité, et laissons à Alain Belmont le soin d’en évoquer un autre, celui des peigneurs de chanvre de l’espace briançonnais.[9]