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quement le départ de la nécessité pour échapper à la misère ou au trop plein démographique. En effet, si l’on revient aux trois termes de la formule, ceux-ci sont en parfaite contradiction avec la mémoire dominante du départ de la désespérance ou du décalage.

Si l’on en reste à l’idée d’une société queyrassine uniquement composée d’agriculteurs, petits propriétaires routiniers, partageant la même médiocrité voire la même misère, en tout cas le même retard,[16] la première contradiction réside dans l’importance accordée au commerce. On comprend bien davantage lorsque l’on situe ces communautés dans leur activité majeure et essentielle: l’élevage. C’est lui qui fournit les produits (les produits laitiers mais aussi les laines, les peaux et les bêtes sur pied pour la viande), les surplus pour la vente et donc le numéraire pour ne pas dire la richesse. C’est aussi lui qui, comme le montre si bien J.-C. Duclos dans cette même revue, a créé et entretient les habitudes et les directions des déplacements.[17]

La lecture attentive des archives écrites[18] comme la mémoire de témoins montrent, en dernier ressort, quelle place essentielle le commerce occupe dans la réalité des familles mais aussi dans la culture collective. Parler du commerce c’est bien sûr évoquer des formes très variées dans leur réalité et leur évolution, avec une volonté de s’adapter constamment aux conditions politiques et économiques.

Ces formes variées nous pouvons les décliner selon la taille. Coexistent, en effet, tout au long de la période des associations commerciales de taille et d’envergure très diverses. C’est bien sûr le colportage modeste, toujours décrit comme individuel, dont la mémoire retient surtout les exemples des marchands de châtaignes, des beurriers ou des instituteurs. En réalité, tous, comme les marchands de peaux ou de mulets,[19] sont déjà dans une logique d’associations,[20] même si les termes de l’association sont inégalitaires et reposent sur des avances d’argent ou de produits. Le cas est autre avec les instituteurs qui, comme les salariés agricoles auxquels on les a souvent comparés, apportent leurs savoir et savoir-faire, sans mise de fonds initiale.

Le commerce au sens le plus commun est largement représenté par le niveau de la boutique. Faire l’acquisition d’une boutique, au terme d’un parcours professionnel commencé comme commis, reste l’objectif avoué de bon nombre de ces migrants, dans la deuxième moitié du 19e siècle. À cet endroit, le modèle dominant de la boutique spécialisée dans la vente des produits laitiers et produits d’épicerie[21] voile toutefois une grande diversité. Selon les périodes

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HISTOIRE DES ALPES - STORIA DELLE ALPI - GESCHICHTE DER ALPEN 1998/3