(1798-1803) ont rempli des tabelles notant le passage en Suisse de milliers d’étrangers voyageant individuellement ou en petits groupes (sans compter les troupes armées).[30] Tous les voyageurs ne sont pas enregistrés. En particulier, les tabelles n’enregistrent qu’exceptionnellement les femmes: les gardes sont surtout chargés d’intercepter les émigrés tentant de rentrer au pays et, en général, les personnes hostiles au nouveau régime. Ils ne se méfient guère des femmes. Par définition, les micro-mobilités n’apparaissent guère, à moins qu’elles n’impliquent le passage d’une frontière. Ce sont les migrants temporaires ou saisonniers de sexe masculin qui dominent, mais on rencontre aussi des négociants ou des fabricants se rendant aux grandes foires ou visitant leur clientèle, des compagnons et des artisans, quelques touristes ou curistes, des personnes voyageant pour des affaires de famille (successions, mariages), des militaires en rupture de ban ou des recrues se rendant sur les champs de bataille, enfin des personnes ayant définitivement quitté leurs foyers (macro-migrations).[31] Les contrebandiers, comme les gens qui errent sur les routes à longueur d’année (vagabonds, formant parfois des bandes de voleurs), voyagent naturellement sans passeport et évitent les passages surveillés, ce qui est relativement aisé si l’on n’emprunte pas les routes carrossables.
Les tabelles bâloises, les plus exhaustives et les seules à couvrir toute la période, sont toujours divisées en deux parties: la première énumère les personnes entrées en ville de Bâle, la seconde celles - souvent les mêmes - qui passent par Liestal. Le sous-préfet et un stagiaire ont rempli les listes de Liestal; leur exactitude est comparable à celle d’autres cantons. Les tabelles concernant la ville de Bâle sont très différentes; elles ont été écrites par le secrétaire de la municipalité, Matthâus Merian, qui est aussi archiviste et professeur de grec. Merian est au courant des nouvelles divisions politiques de l’Europe et précise toujours où se trouvent les lieux cités, ce qui est très utile pour identifier les lieux d’origine des voyageurs. Ils sont nombreux malgré le passage ou l’affrontement des troupes armées: près de 500 (470) personnes pratiquant le commerce passent pendant la seule année 1799. Certes, les frontières sont devenues plus difficiles à franchir depuis la Révolution, et Bâle en souffre tout particulièrement.[32] Mais la crise qui frappe les industries d’exportation ne décourage pas les voyageurs. Au contraire: certains d’entre eux effectuent une réadaptation structurelle pendant les phases de recul conjoncturel en se déplaçant eux-mêmes à travers le monde, accroissant ainsi leur part du marché tout en réduisant les coûts de transactions liés aux tentatives d’expansion.[33]