Page:Freud - La Psychopathologie de la vie quotidienne, 1922, trad. Jankélévitch.djvu/171

From Wikisource
Jump to navigation Jump to search
This page has not been proofread.

Depuis, ma mémoire n’a pas cessé de faiblir; mais j’ai pu m’assurer, et j’en suis encore convaincu, qu’en ayant recours à un petit artifice je puis retenir plus de choses que je ne l’aurais cru. C’est ainsi que lorsque qu’un malade se présente à ma consultation et me déclare que je l’ai déjà vu, alors que je ne me souviens ni du fait, ni de la date, je cherche à me tirer d’affaire en pensant à un certain nombre d’années, comptées à partir du moment présent. Et toutes les fois qu’un témoignage écrit ou des données certaines, fournies par le patient, ont permis de contrôler la date que j’ai cru avoir devinée, j’ai pu m’assurer que mon erreur dépassait rarement une durée de six mois sur un intervalle de plus de dix années 58. Il en est de même lorsque je rencontre quelqu’un que je ne connais que de loin et auquel je demande par politesse des nouvelles de ses enfants. S’il se met à me parler des progrès que font ces derniers, je cherche à deviner l’âge de l’enfant, je confronte le résultat que j’obtiens avec le renseignement fourni par le père, et je dois dire que je me trompe rarement de plus d’un mois et, quand il s’agit d’enfants plus âges, de plus de trois mois, bien qu’il me soit impossible de dire quels points de repère ont servi à mon estimation. J’ai fini par devenir tellement hardi que je fais mon estimation de plus en plus spontanément, sans courir le danger de froisser le père par la révélation de l’ignorance dans laquelle je me trouve concernant sa progéniture. J’élargis ainsi ma mémoire consciente, en faisant appel à ma mémoire inconsciente, plus richement meublée d’ailleurs.

Je vais donc rapporter des exemples d’oublis frappants que j’ai observés sur moi-même. Je distingue entre l’oubli d’impressions et d’événements vécus (c’est-à-dire de choses qu’on sait ou qu’on savait)