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A ce privilège général vient s’ajouter le statut particulier de deux territoires, au sein desquels le sel est vendu beaucoup moins cher que dans le reste de la province. Le premier fait partie du Haut-Dauphiné; il s’agit du «Briançonnais», qui comprend en réalité les deux escartons de Briançon et du Queyras. Par deux arrêts du Conseil datés de 1715 et 1732, le prix du sel y a été fixé à 15 livres le minot[8] (soit 17 livres 10 sols 6 deniers avec les différentes impositions). Un second territoire privilégié, limitrophe du Dauphiné, est formé par la vallée de Barcelonnette, rattachée au comté de Provence en décembre 1714, dans lequel «le sel ne s[e] vend que 6 l. 13 s. 4 d. le minot».[9] À titre de comparaison, le minot de sel est vendu à la même époque un peu plus de 26 livres aux greniers d’Embrun et du Bourg-d’Oisans.[10]

Comme partout ailleurs, cette fragmentation de l’espace fiscal constitue une puissante incitation à la fraude, en dépit des défenses faites aux habitants du Briançonnais, du Queyras et de l’Ubaye, qui achètent du sel pour leur usage ou pour leur bétail, «de le faire passer vendre ou debiter dans les communautés voisines ny allieur a peine d’estre poursuivis et condamnés comme faussonier».[11] L’occupation est, semble-t-il, assez lucrative pour qu’ on s’y adonne malgré les peines encourues. Celles-ci, réitérées dans les règlements successifs, sont proportionnelles à la gravité du délit puisque, comme le précise l’édit de février 1664, «le Fauxsonnage se fait en differentes manieres, qui ne sont pas toutes également dommageables, & qui sont plus ou moins hardie, & de conséquence». Le faux- saunage «à porte-col» et sans armes est ainsi puni de 300 livres d’amende, tandis que les faux-sauniers attroupés et armés risquent la mort. Quant aux particuliers chez qui a été découvert du faux sel, ils se voient infliger une première amende de 100 livres. Femmes et filles ne sont pas oubliées, mais le législateur limite de fait leur action au faux-saunage «à porte-col», puni de 100 livres d’amende pour la première fois, du fouet, de la flétrissure et de 300 livres d’amende en cas de récidive. Enfin, les pères et mères sont considérés comme «responsables civilement & solidairement de leurs enfans mineurs [...], & les maris de leurs femmes qui feront le faux-saunage».[12]

Magasins d’approvisionnement, les greniers à sel sont aussi dotés d’une compétence judiciaire: ce sont leurs officiers qui jugent en première instance les crimes de faux-saunage. Les archives du grenier à sel de Briançon conservent les dossiers de 71 procès pour la période 1725-1760. Plusieurs indices laissent à penser que nous n’avons là qu’une faible partie des infractions commises. Certains procès-verbaux mentionnent ainsi à l’occasion, au détour d’une phrase,

des saisies effectuées le même jour.[13] Les registres des gabelles et les plumitifs

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Histoire des Alpes - Storia delle Alpi - Geschichte der Alpen 2009/14