Page:Labi 1998.djvu/261

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Lorsque l’on choisit une approche généalogique du problème, en suivant des lignées familiales, l’étude fine des directions montre toutes les nuances à apporter au schéma classique, saisonnier-définitif. Loin de correspondre à une période chronologique et de décrire une réalité historique bien datée, le système migratoire s’avère aussi complexe dans les rythmes. Au sein de chaque lignée familiale et à chaque génération, coexistent des migrations saisonnières, d’autres temporaires de plus longue durée, avec les départs définitifs des cadets[33] pour laisser vivre et survivre la cellule économique que symbolise la maison familiale.[34]

Mais l’essentiel est encore ailleurs. Comme l’a si magistralement montré Laurence Fontaine, c’est la modélisation de ce système migratoire qui est à retenir. Dans le Queyras aussi et encore au 19e siècle, les migrations fonctionnent sous l’égide de réseaux familiaux pour ne pas dire claniques, à la fois précis et complexes.

La mémoire familiale et collective a souvent retenu les exemples quasi mythiques de réussite, renforcés par les récits des correspondances ou les résultats affichés, véritables incitations au départ. Encore faut-il avoir la possibilité comme l’envie de partir.

Certes, le migrant peut être, dans son déplacement, un homme seul, même si cela ne semble pas être la tendance majoritaire. Il est surtout inséré dans un réseau qui, du village à la ville, organise le système dans lequel il s’insère. L’homme solitaire est, en règle générale, voué à l’échec. Il se contente de pourvoir le flot de ces migrants décrits comme ceux de la misère et de l’exode. Ce ne sera pas le cas de celui qui entre dans le système le plus durable, évoqué précédemment.

Celui-ci sait où aller, d’où les directions préférentielles. Il dispose d’adresses même s’il s’agit d’un simple garni où l’on se regroupe, faisant attribuer aux Gavots[35] le synonyme de migrants besogneux. Il sait aussi qu’il peut disposer de capitaux, à charge pour lui de les faire fructifier ou de rembourser grâce à sa terre ou celle de son patrimoine familial. S’il fait ses preuves, il peut demeurer dans le réseau et en tirer parti. C’est aussi grâce à ce réseau qu’il peut bénéficier d’une formation pratique, franchissant les différents stades de l’apprentissage ou restant simple commis. Le tandem oncle-neveu, si souvent décrit par la mémoire, et corroboré par les archives directes ou indirectes,[36] fonctionne avec efficacité, bien au-delà de la période retenue.

Ainsi, on est face à un système migratoire géré par les familles aux assises économiques et sociales les plus affirmées. Celles-ci organisent la migration

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GRANET-ABISSET: COMMERCE ET INSTRUCTION