sous-jacente d’un déterminisme physique d’altitude a même conduit à une opposition organique entre montagnards et habitants des plaines: «La complémentarité économique des hauts et des bas pays [...] est aussi dans une assez large mesure, une complémentarité entre pays de l’homme rare et pays de l’homme bon marché parce que trop abondant, voire entre pays où l’homme indolent se reproduit peu et pays où l’homme, dynamique, se reproduit trop vite.»[3]
Il est exact que les migrants montagnards sont particulièrement nombreux sous l’Ancien Régime. Des Arméniens sont «présents dans la presque totalité du monde» dès le 17e siècle: aux Indes comme en Russie, en Turquie, à Vienne, où ils sont particulièrement nombreux et influents et où ils stimulent les échanges commerciaux entre musulmans et chrétiens, en Europe occidentale aussi.[4] Dès la fin du Moyen Âge, des mercenaires et des colporteurs écossais sont en Irlande, en Scandinavie et en Pologne.[5] En Italie, des villages des Abruzzes se vident de leur population au moment des gros travaux agricoles. Environ 8000 montagnards, explique en 1812 le préfet du département alors français de Trasimène, descendent régulièrement travailler dans les campagnes de Rome, où ils «s’exposent à la mort qui les frappe dans une proportion effrayante».[6] À la même époque, des montagnards des Apennins descendent en masse vers les villes côtières. Certains villages du département de Gênes se vident d’un tiers et parfois de la moitié de leur population; aux alentours de Novi, «il ne reste dans les communes, pendant l’hiver, pour ainsi dire, que les vieillards, peu de femmes et quelques enfants».[7] En France, les Alpes et le Massif central sont des zones de départs massifs.[8] Des Auvergnats et des Limousins entreprenants se rendent régulièrement en Espagne pour y pratiquer toutes sortes d’activités depuis le 15e siècle, qui deviennent essentiellement commerciales au 18e.[9] Peut-on dire pour autant que les montagnes sont par excellence des lieux de départ? Je ne le pense pas, pour plusieurs raisons.
D’abord, on part aussi des plaines: il existe, à l’échelle européenne, de vastes zones de départ sises dans le plat pays. Jan Lucassen a montré que, vers 1811, chaque année, quelque 30’000 personnes se rendent sur le littoral de la Mer du Nord, de Calais à Brème; elles viennent de l’arrière-pays, sur une bande de 250 à 300 km, pour faucher les foins, faire flotter les bois ou colporter. Ce vaste mouvement pendulaire remonte aux 16e et 17e siècles au moins.[10] Ces régions de départ ne sont pas situées en montagne et Lucassen réfute le déterminisme géographique physique: le travail migrant n’est pas la