Page:Labi 1998.djvu/160

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d’automne, chacun y trouve l’occasion d’y montrer, voir, juger et comparer ses bêtes et celles des autres. L’époque de la désalpe est aussi celle des foires les plus importantes de l’année et des combats de «reines» dans les Alpes du nord. Mais ne nous égarons pas, même si l’incessante mobilité des hommes et de leurs animaux demeure consubstantielle des modes de vie alpins, c’est à la transhumance dont nous devrons nous limiter ici.

Avant cela, repérons encore sur la carte des Alpes françaises cette ligne qui partage, d’ouest en est, avec quelques sinuosités du Vercors à Suse, la partie sud, de la partie nord. Là, s’effectue avec plus ou moins de nuances le passage de l’aire linguistique du franco-provençal à celle du provençal. Les Alpins d’expression provençale des montagnes plus sèches du sud, tournées vers la Méditerranée, même s’ils n’ont jamais dédaigné la vache, ont plus généralement accordé leur préférence au mouton. C’est parmi eux qu’ont toujours été recrutés les pasteurs transhumants. Partout, dans le monde méditerranéen, leurs origines montagnardes se vérifient. Les bergers que l’on voit l’hiver, au sud de la Catalogne, près de Tortosa et d’Amposta viennent de la montagne de Güdar (P. de Terruel) ou des Pyrénées aragonaises, ceux du Tavoliere, dans les Pouilles, sont descendus des Abruzzes, ceux des plaines rhodaniennes sont originaires de l’Oisans, du Dévoluy, du Briançonnais, du Vercors, de l’Ubaye mais aussi des vallées provençales du Piémont italien, soit principalement des Alpes de langue provençale. Les chercheurs qui se sont souciés de l’origine des bergers transhumants du Moyen Âge[4] n’ont pas manqué aussi d’observer qu’ils provenaient presque tous des lieux d’estivage. Quant aux entrepreneurs de transhumance, ceux qui organisent, au 15e siècle, l’amontagnage de dizaines de milliers d’ovins, les Noé de Barras,[5] Pierre Barruel ou Alzais Raouls dont les livres de compte ont été conservés, ce sont aussi des Alpins des environs de Sisteron, de Digne ou d’Embrun, soit d’un espace médian entre la plaine et les grandes Alpes. C’est à eux que René d’Anjou, comte de Provence, confie ses troupeaux. Eux sauront mettre à profit le réseau de leurs connaissances pour acheminer sans encombre jusqu’aux meilleurs pâturages d’altitude, «l’avoir»[6] du Roi René. Eux sauront recruter et diriger toutes les compétences nécessaires pour conduire avec ménagement les troupeaux et les faire engraisser sur l’estive. Eux sauront négocier les contrats d’alpage, payer les droits de passage, de pidvérage, à'abreuvage, d'average, rémunérer les experts en cas de conflit, évaluer les dommages, les réparer, aller en procès... Bref, ainsi que l’a magistralement démontré Noël Coulet: «La transhumance est autant l’affaire des notaires

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HISTOIRE DES ALPES - STORIA DELLE ALPI - GESCHICHTE DER ALPEN 1998/3