Page:Freud - La Psychopathologie de la vie quotidienne, 1922, trad. Jankélévitch.djvu/279

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employés, qui me renvoyaient d’un quai à l’autre; je commençais à désespérer, d’autant plus qu’en consultant l’horaire je constatai que toutes ces recherches m’avaient fait manquer la correspondance. Devant cette réalité, je me demandai tout d’abord si je ne ferais pas bien de passer la nuit à Cologne; cette résolution me fut inspirée par un sentiment de piété, car, d’après une vieille tradition de famille, mes ancêtres avaient jadis fui cette ville, pour échapper aux persécutions qui s’y étaient déchaînées contre les Juifs. Mais au bout de quelque temps je changeai d’avis ci me décidai à partir par un autre train pour Rotterdam, où j’arrivai en pleine nuit, ce qui m’obligea à passer une journée en Hollande. Je pus ainsi réaliser un projet caressé depuis longtemps : voir les magnifiques tableaux de Rembrandt à La Haye et au musée d’Amsterdam. C’est seulement l’après-midi du jour suivant, alors que je me trouvais dans le train anglais, que, repassant mes impressions, je me souvins d’une façon certaine d’avoir vu à la gare de Cologne, à quelque pas du train que je venais de quitter et sur le même quai, une grande pancarte avec l’inscription  : « Rotterdam-Hook, Hollande ». Le train que j’aurais dû prendre pour continuer mon voyage attendait là. C’est par un «aveuglement » vraiment inconcevable que je m’étais éloigné de cette bonne indication pour aller chercher le train ailleurs; à moins qu’on veuille admettre que je tenais, malgré les recommandations de mon frère, à voir les tableaux de Rembrandt lors mon voyage d’aller. Tout le reste : mon agitation bien jouée, la pieuse intention, surgie inopinément, de passer la nuit à Cologne – tout cela n’était qu’un artifice destiné à me dissimuler à moi-même mon projet, jusqu’au moment où il réussit à m’imposer sa réalisation.

l) M. J. Stärcke (l.c.) raconte un cas personnel où il s’agissait d’un sacrifice du même genre : un «oubli»