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des hivers rigoureux et longs sans pour autant présenter les mêmes caractéristiques. En second lieu, la tradition protestante, très prégnante en Queyras, joue à un double niveau. D’abord par la relation au Livre qui habitue à la culture écrite et revendique une formation nécessaire. Ensuite par la concurrence suscitée auprès des populations catholiques dans la perspective d’une reconquête des âmes. Il faut toutefois remarquer que dans le Queyras, à la différence du Lubéron par exemple, on ne distingue pas de supéririté affirmée des familles protestantes dans la maîtrise de l’écrit. On a réellement une alphabétisation partagée par les deux communautés.

Ces deux ensembles de raisons sont importants. Ils ne suffisent pas à expliquer cette culture précoce et diffuse. Aussi il semble intéressant d’ajouter deux motifs pour comprendre cette réalité. Posséder les savoirs élémentaires est également une nécessité dans la gestion de la pluriactivité. On retrouve alors le commerce et les affaires. En effet, comme le montrent les exercices inscrits dans les cahiers d’écoliers,[45] le souci majeur est de savoir faire du commerce, de maîtriser les calculs les plus essentiels mais aussi les procédures d’associations. Derrière le goût, l’utilitarisme n’est jamais loin. Il trouve aussi ses racines dans la tradition des Escartons. Prendre part aux affaires de la communauté nécessite la maîtrise de l’écrit, pour participer aux délibérations, pour voter, et bien sûr pour devenir consul. Il y a sans doute, avec ce motif, l’explication de la compétence des femmes qui, lorsqu’elles ont la responsabilité du domaine, collaborent à l’Escarton.

Esquissant à travers deux de ses composantes la mobilité au sein d’une société alpine, il faut redire avec force combien celle-ci s’éloigne de l’image dominante de l’exode rural et de la migration subie de la désespérance. Non pas, bien sûr que les candidats au départ sont tous favorisés ou qu’ils appartiennent à des milieux sociaux dominants. S’ils sont favorisés, c’est par leur appartenance familiale ou familière à un système organisé qui leur permet de disposer de modèles, de réseaux, procurant à ceux qui savent les utiliser l’occasion de réaliser de solides pour ne pas dire de fructueuses affaires durant ce long 19e siècle. Cette mobilité qui est, sans conteste, orientée vers la réussite, renvoie à d’autres motivations et d’autres explications que celles trop classiquement présentées. Elle s’inscrit dans une société hiérarchisée économiquement et socialement. Elle est aussi une des clefs du système économique et culturel, organisé autour de la maison familiale, dans ce lien entretenu entre la montagne et le «plat pays» et qui fonctionne

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HISTOIRE DES ALPES - STORIA DELLE ALPI - GESCHICHTE DER ALPEN 1998/3