Page:Labi 1998.djvu/173

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de la Savoie, entre Grenoble et Briançon, s’apprêtent à partir. Ils vendent leurs biens meubles. Quand on leur en demande la raison, ils disent que leurs blés ont gelé ou qu’ils ont été emportés par les inondations et qu’ils y sont contraints pour survivre. Le bois étant une chose rare dans les montagnes, l’usage ordinaire du pays est que les habitants cuisent ordinairement vers la Saint-Martin tout le pain ou plutôt le biscuit qui leur est nécessaire pour la subsistance de leur famille jusqu’à la Saint-Martin suivante. Contrairement aux autres années, cette année la plupart des habitants de ces montagnes n’ont que la quantité de pain nécessaire jusqu’au mois d’avril ou de mai prochain.»[16]

Pour l’intendant, ne pas prévoir suffisamment de pain pour l’année, suivant l’usage, constitue une preuve irréfutable de l’intention de fuite de ses subordonnés nouveaux convertis. À l’évidence, à son avis des mesures s’imposent.

C’est le sens de sa lettre à Colbert de Croissy, du 12 janvier 1686: «Les habitants de cette vallée [de Pragelas] paraissent catholiques au dehors, ils sont toujours calvinistes dans le cœur et comme ils continuent aussi bien que ceux de plusieurs autres communautés de la province dans le désir de sortir du royaume et qu’on appréhende qu’ils n’exécutent leur dessein au printemps prochain lorsque les passages des montagnes voisines du Piémont et de Savoie qui sont présentement fermés par les neiges seront entièrement libres [...] j’ai fait faire une carte où j’ai marqué les commuanutés à faire garder dès le 15e du mois de mars prochain.»[17]

D’ailleurs le même jour, il écrivait à Louvois, joignant à sa lettre une carte et réclamant de faire garder 34 à 35 passages des communautés limitrophes de la Savoie et du Piémont.[18] Malheureusement nous ne disposons plus de cette carte.[19] Son envoi indique en tout cas le sérieux avec lequel l’intendant exerçait son mandat. Mais la dernière mention qu’il fit de cette question au même Croissy, dans une lettre datée du 20 mars 1686, laisse percer comme un sentiment désabusé: «Lettres saisies. Les pasteurs et religionnaires réfugiés à Genève et en Suisse exortent les N. C. du Dauphiné et du Languedoc à suivre leur exemple.»[20]

L’intendant n’eut plus guère l’occasion de s’occuper de cette affaire. Relevé de ses fonctions en Dauphiné, il était nommé intendant de Provence, où il prit ses fonctions rapidement, son successeur à Grenoble, Étienne-Jean Bouchu, lui succédant dans cette ville et s’y installant le 27 avril 1686. L’ensemble des mesures prises furent-elles efficaces? Ont-elles permis d’enrayer le flot migratoire de Français vers l’étranger? Le courrier échangé

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HISTOIRE DES ALPES - STORIA DELLE ALPI - GESCHICHTE DER ALPEN 1998/3