Page:Labi 1998.djvu/12

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s’il rejaillit sur la famille et le groupe d’origine. Ainsi, les migrants qui s’inscrivent dans d’autres configurations sociales, comme la parenté ou la clientèle - desquelles relève la plus grande partie des migrations des montagnes, par exemple -, sont alors soit occultés soit incompréhensibles.

De fait, l’examen des sociétés montagnardes et de leurs migrations montre combien l’absence d’interrogation sur la nature des liens sociaux dans lesquels les individus sont insérés cache une des grandes originalités des migrations alpines - même si ces traits se retrouvent aussi dans les migrations des plats pays.

Trois ensembles de liens enserrent l’individu: la famille étroite, la parenté et les liens de clientèle. Or, quelques puissantes familles se partagent le village et les hommes. La structure sociale de nombre de villages alpins, faite de parentés éclatées dans plusieurs villes d’Europe et de clientélisme est au fondement de la distribution du travail au village. Ce modèle n’est d’ailleurs pas spécifique aux montagnes et l’organisation hiérarchisée et surveillée de la main-d’œuvre qui travaille pour les familles des élites se retrouve autant chez les colporteurs que dans les villages proto-industriels du nord de la France ou chez les maçons ou parmi les «polder boys» de la Hollande.[4] Une étude de ces structures sociales villageoises et de l’horizon géographique des élites apporterait une meilleure connaissance de la migration selon les groupes sociaux et de ses relations avec les diverses formes de travail auxquelles les hommes et les femmes des villages ont accès.

2) La vision braudélienne implique une conception de l’espace à la fois géographique et hiérarchisée, marquée par l’opposition ville/campagne et par trois grands cercles définis à partir de la ville qui se terminent dans les montagnes. Dans le cadre de cette dynamique de l’espace, l’accent est mis sur l’attraction de la ville, point central des constructions géométriques des espaces de la migration. À partir de là, des lois et des notions ont été créées dans lesquelles la distance devient facteur explicatif: les lois de Ravensburg qui distinguent métiers non qualifiés venant des régions proches et métiers qualifiés de régions lointaines; les trois cercles de Lucassen dessinés à partir de la Hollande: le premier, d’un diamètre de 200 à 300 km dans lequel se recrutent les migrants saisonniers, un autre d’environ 500 km qui drainent les métiers qualifiés et, au delà, viennent les travailleurs les moins payés ainsi que certains groupes spécifiques comme les juifs.[5]

Il n’est pas ici question de nier le rôle de l’espace ni le pouvoir d’attraction des villes mais de suggérer que ces «lois» n’en sont peut-être pas dans la

FONTAINE: MODÈLES MIGRATOIRES ALPINS A L'ÉPOQUE MODERNE
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