Page:Freud - La Psychopathologie de la vie quotidienne, 1922, trad. Jankélévitch.djvu/321

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à laquelle on vient justement de penser. Je me rends la veille de Noël à la Banque d’Autriche-Hongrie pour échanger, en vue des étrennes, un billet de dix couronnes contre dix pièces de 1 couronne en argent. Plongé dans des rêves ambitieux liés au contraste entre la maigre somme que j’allais toucher et les énormes masses d’argent accumulées dans la banque, je débouche dans la petite rue où est située cette dernière. Je vois devant le portail une automobile; beaucoup de gens entrent dans la banque et en sortent. Je me demande si les employés auront le temps de s’occuper de mes couronnes; je ferai d’ailleurs vite; je déposerai le billet et je dirai : « Donnez-moi de l’or, s’il vous plaît. » J’aperçois aussitôt mon erreur : c’est de l’argent que je dois demander; et je sors de ma rêverie. Je suis à quelques pas de l’entrée et je vois venir au-devant de moi un jeune homme que je crois connaître, mais je que ne puis encore reconnaître avec certitude, à cause de ma myopie, Lorsqu’il s’approche davantage, je reconnais en lui un camarade d’école de mon frère, nommé Gold (or), frère lui-même d’un écrivain connu, sur l’appui duquel j’avais beaucoup compté au début de ma carrière littéraire. Cet appui m’a manqué et, avec lui, le succès matériel espéré qui m’avait préoccupé dans ma rêverie, pendant que je me rendais à la banque. Plongé dans mes rêveries, j’ai donc dû percevoir, sans m’en rendre compte, l’approche de M. Gold, ce qui, dans ma conscience rêvant de succès matériels, s’est manifesté sous la forme de la décision que j’avais prise de demander au caissier de l’or (Gold), à la place de l’argent qui est de valeur moindre. D’autre part, le fait paradoxal que mon inconscient a été capable de percevoir un objet que l’œil n’a reconnu que plus tard s’explique par un « complexe » (Bleuler) particulier qui, orienté vers des choses matérielles, dirigeait mes pas, à l’exclusion de toute autre préoccupation, vers le