Autre épistre au susdict Monsieur de Seré

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Autre épistre au susdict Monsieur de Seré
by Augièr Gailhard



Autre épistre au susdict Monsieur de Séré,
Faicte en François.
      
Monsieur, apres l'Epistre en ma langue Albigeoise
M'en vay forger une autre en la langue Françoise.
Depuis qu'on est en bal faut bien ou mal dancer;
Or sus, donc, bien ou mal je m'en vay commencer.

Monsieur, il y a longtemps que j'avais grand désir
De vous faire un présent, pour vous donner plaisir,
De quelque livre mien de ma sotte poësie.
J'ay donc faict cestuy-ci selon ma fantaisie.
Pour le vous dédier mon cœur m'y a induit;
La plus grand part j'ay faict et l'autre j'ay traduit.
Il est certes mal faict, mais vous prendrez patience
De le lire, sçachant que je n'ay pas grand science.
Il y a tantost trois ans, comme avez entendu,
Qu'en fis imprimer un; mais il fut défendu
A l'imprimeur et moy de ne le mettre en vente,
Qui fut de perte à moy des escus plus de trente.
Je cuiday tout quitter, cela me facha fort;
Mais je me pensi lors que je me ferois tort,
Veu que n'avoy moyen de faire des charrettes,
Et que je ferois mal d'abandonner les lettres.
Et puis il me souvient de ce que Platon dit:
"Cil qui laisse, dit-il, la vertu part despit
Est semblable à l'enfant, quant quelqu'un luy arrache
Des mains ce dont il joue; incontinent se fache
Et jette par despit le reste promptement
Soit ou formage ou fruit, combien qu'il soit gourmand".
Je n'ay pas faict ainsy: mais j'ay voulu poursuivre
Les lettres, et depuis j'ay faict ce petit livre.
Ceux qui me vouloyent mal, quant l'imprimeur me fit
Le livre que j'ay dit, firent lors mon profit;
Car j'ay cogneu depuis qu'ennemis adversaires,
Aux hommes bien souvent sont très-que nécessaires.
Cela s'est assez veu, je ne suis pas menteur,
Et qu'il soit vray, Monsieur, j'allègue icy autheur.
Un sot voulant tuer d'une estocade un homme
Nommé Prometheus, en la ville de Rome,
Luy perça l'aposthume estant dedans son corps;
Au lieu de le meurtrir il le guérit alors.
Ainsy les ennemis de mon premier ouvrage
Me pensans faire tort, me firent lors plus sage.
Je me suis advisé depuis cela souvent,
Et me semble que suis maintenant plus sçavant.
Mes ennemis ont dit que mon œuvre première
Ceste-cy devoit estre, et la mettre en lumière,
Disans que c'eust esté mon grand avancement
Si ceste j'eusse faict à mon commencement.
De croire leur conseil je ne fusse esté sage,
Sans esbaucher plustost quelque meschant ouvrage.
Quand un peintre veut peindre ou faire rien de bon,
Plustost ce qu'il veut faire il trace d'un charbon.
Jamais je n'ay voulu commencer cet ouvrage
Sans faire l'autre livre, à fin d'estre plus sage.
J'ay faict comme l'on fit à un prince tyran,
Dit Galéas Marie, estant duc de Milan,
Lequel duc estoit fils d'un nommé François Sforce
Qui les femmes prenoit et les filles par force;
Vice qui le rendit odieux grandement
Aux étrangers et siens, et dont finalement
Luy en print mal; car deux luy ostèrent la vie,
Ne pouvans supporter sa trop grand'vilenie.
Et comme ces galans le voulurent meurtrir,
Jamais ledit tyran n'osèrent assaillir,
A cause qu'il estoit un fort beau personnage.
Ils n'osèrent alors luy faire aucun dommage;
Mais un nommé André, lequel estoit natif
De Milan, le fit peindre en un tableau au vif,
Contre lequel donnoit si souvent d'une espée,
Qu'à la fin le tyran eust la gorge coupée.
En ceste façon là continua si fort
Que dans un temple après il mit ce duc à mort.
Si cestuy n'eust trouvé ceste façon de faire
Jamais ne fut venu au bout de son affaire
Ny moy de ce livret, si l'autre n'eusse faict,
Combien que cestuy-ci n'est pas du tout parfaict;
Mais il me semble bien qu'il est mieux faict que l'autre;
Car avec cestuy-là que j'ay cogneue ma faute.
Il faut estre barbier plustost que médecin,
Tout sanglier que l'on voit a esté marquassin,
Tous les boucs de la terre ont esté des chevreaux,
Et tous les bœufs aussi ont esté des taureaux;
Il faut estre soldat plustost que capitaine;
Encore je diray une chose certaine,
Un apprentif de luth ne peut faire un fredon,
Il n'y a cuisinier qui n'ait esté lardon;
Sans avoir esté clerc l'on ne peut estre prestre,
Il faut estre apprentif avant qu'on soit bon maistre.
Non point que je le sois, ny le seray jamais,
A mes vers se cognoist, car ils sont mal rimez;
Et je crain qu'on dira que je ne suis pas sage
De vous avoir offert un si mal faict ouvrage;
Mais Licurgus, le roy des Lacédémoniens,
A escrit que les dieux, leur offrant petits biens,
Estoyent aussi contens que d'une chose grande;
Pourveu que de bon cœur on leur en fist offrande;
Et Caton qui estoit d'un si grand esperit
Me faict ressouvenir d'un mot qu'il a escrit
Qui dit: Ne dubites parva impendere
Cum res tibi magnas vis tu demandare ...
"N'ayes honte, dit-il, petit présent donner,
Combien qu'un grand présent tu veuilles demander".
Voylà que c'est, Monsieur, d'avoir leu quelq'histoire.
De lire n'est pas tout, car il faut la mémoire.
Ce brave Caton-là et Lycurgus aussi
M'ont tous deux incité à vous offrir ceci.
S'ils m'ont mal conseillé à eux vous en faut prendre,
Car jamais autrement n'eusse osé entreprendre
De le vous dédier, pour ce que c'est un rien,
Priant le Tout-Puissant de vous donner tout bien.

Je suis Auger Gaillard, autheur de cet ouvrage,
Lequel j'ay faict icy pour mander en tous leiux.
Il est faict en françois et en mon sot langage,
Pour faire gazouiller les jeunes et les vieux.
Je l'ay faict un peu mal, le pouvant faire mieux,
A celle fin qu'on die: "Ah ! c'est Auger Gaillard."
Si je l'eusse mieux faict, quelques sots envieux
Eussent peut-estre dit: "Cecy a faict Ronsard."