Page:Labi 1998.djvu/147

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travers le temps: sa vitalité est intacte au début du 16e siècle comme le montre l’évocation des bannis de Lyon, qui, «fuyant vers l’Italie, demeurèrent dans les cavernes des montagnes du Dauphiné» -, une sorte de no mans’ land aux marges du monde civilisé.[2]

Peut-on se satisfaire de cette perpection? Celle de Claude de Seyssel, évêque de Turin en 1517, visiteur de ses églises l’année suivante, et rédacteur, à son retour, du traité Adversas Errores Valdensiwn, édité en 1520, est celle d’un homme de terrain. Il voit ce monde de deux points de vue différents, selon qu’il se réfère aux acquis de sa culture ou de son expérience. Sa culture lui dicte sa conception de l’espace: «dans notre diocèse de Turin, en ses extrémités surtout et entre les défilés des Alpes qui séparent la Gaule de l’Italie, tant en dominations royale et delphinale que savoisienne, cette hérésie s’est implantée».[3] Il s’agit d’une perception à la fois géographique et politique de la situation de son diocèse comme finistère: deux régions, la Gaule - force du vocabulaire hérité de la culture antique - et l’Italie, entre lesquelles on communique par des défilés: on voit s’esquisser là, par le rappel du passé, l’image future de la frontière, crête et ligne de partage des eaux; perception politique: un finistère de principautés et c’est là l’héritage de l’histoire proche et vivante. Quant à son expérience, elle lui dicte une autre définition: «Aucun prélat dit-il, n’avait osé jusque-là pénétrer dans leurs vallées.» «Vallées» et non plus «défilés»: dans le souvenir de son cheminement, il passe ainsi de la perception géopolitique de l’homme de cabinet à celle, concrète, de ceux qui vivent là, dans la durée, avec leur propre représentation du monde issue de leur expérience et des vicissitudes de leur histoire.


Le monde des vallées à l'époque de l'implantation vaudoise

C’est sur ces vallées qu’il faut donc s’interroger dans la période obscure de la migration originelle. La thèse de Henri Falque-Vert, aujourd’hui publiée, apporte de ce point de vue un éclairage décisif sur la vie des hautes vallées du Queyras de la Varaïta et du Valcluson à partir du milieu du 13e siècle.[4]

On sait donc qu’il s’agit dès ce moment d’un monde plein, dont la vitalité démographique assure la croissance continuée jusqu’à la veille de la grande rupture du milieu du 14e siècle. Nombreuse, cette population présente une extraordinaire stabilité (maintien de 80 à 85% des patronymes entre 1250 et 1339) avec une immigration insignifiante, comme d’ailleurs l’émigration définitive. En revanche l’émigration temporaire, seul gage de survie, touche les deux tiers de la population, entraînant en saison froide la désertion to

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PARAVY: MIGRATIONS ET RELIGION