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mesure où elles ne sont pas applicables à toutes les époques ni pour tous les sites. Les prendre comme des vérités de longue durée risque de les transformer en prison pour l’historien en ce qu’elles lui interdisent d’en comprendre l’historicité. Prenons la notion de bassin migratoire, par exemple, qui a été justement mise en évidence par des historiens travaillant sur le 18e siècle.[6] Si, à partir de cette époque, cette notion a toujours été validée par le matériel empirique, en revanche, pour les époques antérieures, elle mérite examen: le rôle des institutions et les formes des marchés du travail ne permettent pas partout l’émergence de ces bassins. De là, la nécessité d’historiciser les diverses constructions scientifiques de l’espace. Enfin, dans toutes ces approches, l’espace est celui du géographe et du géomètre plus que celui de l’historien. Il serait intéressant de comprendre pourquoi les modèles ont ainsi vidé l’espace de ses dynamiques politiques.

3) De fait, le rôle de l’État et des institutions dans le choix des lieux de la migration est occulté par ces modèles strictement économiques. Or, les règlementations influent directement sur les lieux d’installation des manufactures, par exemple, et, delà, sur les déplacements de main-d’œuvre. Deux exemples pour illustrer combien les mouvements des travailleurs sont sensibles aux particularités politiques et institutionnelles des villes et des territoires de l’Europe moderne. L’exemple des industries textiles peut être significatif. En Angleterre, comme en Hollande, on assiste à des va-et-vient des entreprises textiles des villes vers les campagnes pour échapper aux règlements des corporations et aux impôts mis sur les fabriques urbaines. Tant qu’Avignon est une ville papale, elle jouit de son statut et développe quantités de métiers qui, ailleurs en France, sont fortement réglementés comme ceux de la librairie. Dès qu’elle est rattachée à la France, la ville cesse de détourner à son profit les hommes du livre. Toute l’histoire des réseaux colporteurs se joue d’ailleurs autour de la diversité des institutions politiques et économiques qu’ils utilisent comme une ressource.[7] Dessiner, à partir des régions de départ et dans le temps long, les différentes directions prises par les migrations, selon les sexes et les groupes sociaux villageois, montre combien la dichotomie entre un espace d’attraction et un pôle de répulsion est réductrice tant ces dessins montrent de diversité dans les directions et l’amplitude des mouvements.[8]

4) La structure du marché du travail est une autre question jamais posée dans sa complexité. L’image sous-jacente à ces modèles de migrations économiques est celle de l’économie libérale pure où offre et demande se ren-

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HISTOIRE DES ALPES - STORIA DELLE ALPI - GESCHICHTE DER ALPEN 1998/3