Dictionnaire wallon-français (Pirsoul, 1e éd.)/Nûton

La bibliothèque libre.
Dictionnaire wallon-français (dialecte namurois)
(2p. 94-96).

Nûton, n. m., homme très petit, pygmée. De toutes les croyances, la plus universelle et la mieux accréditée, a été la croyance aux Nûtons ; elle n’est pas propre à notre Wallonie, car on la retrouve en Allemagne, en Écosse et même en Irlande. Les Nûtons étaient, s’il faut en croire nos pères, des espèces de nains haut d’une coudée, à la mine vieillotte, à la longue barbe blanche.

Dans les récits populaires, ces êtres participaient de l’homme et de la divinité.

Ils habitaient des grottes ou des trous (traus d’ nûtons) creusés dans les profondeurs d’une colline ; on montre encore dans nos environs, soit le long de la Meuse (Dave, Lustin), soit sur les bords de la Sambre et vers Rochefort, des excavations qui auraient servi d’entrée aux domaines souterrains et inexplorés des Nûtons. Ceux-ci ne sortaient guère de leurs demeures que la nuit (c’est sans doute de là qu’est venu le nom de Nûton), et poussés par des nécessités rares ; mais les bons villageois pourvoyaient à leur subsistance en déposant à l’entrée de leurs grottes : du pain, du lait, des œufs et du fromage, mais jamais de pièces de monnaie. En échange, les Nûtons rendaient des services, car tous exerçaient un métier avec une habileté que personne n’aurait pu surpasser, ni même égaler : tous aussi avaient les mêmes bonnes dispositions à l’égard de ceux qui leur faisaient du bien. Quelques-uns même avaient des pouvoirs surnaturels.

Souvent, en défrichant une forêt, on rencontre sous terre d’antiques débris de forge : ce sont des craïas des Nûtons. S’il apparaît au milieu de ces scories des parcelles de fer ou de plomb, le campagnard les désignera encore, comme un indice du séjour des Nûtons ; puis il ajoutera qu’il existe du minerai à proximité, et cette indication trompe rarement en effet. Cette singulière expression indique-t-elle les ouvriers qui les premiers dans nos provinces, ont travaillé le fer, ceux auxquels on est redevable de cette importante industrie, et qui, pour épargner le transport du combustible, plaçaient sur le bois leurs fourneaux mobiles ? Le bon Jérôme Pimpurniaux ne repousse pas cette interprétation, mais il lui préfère l’idée moins prosaïque qui fait du nûton un être surnaturel, un gnome bienveillant, chargé de soulager les besoins du malheureux, de venir en aide aux misères du pauvre.

M. F. Malfrennout, dans son guide de Namur, dit ce qui suit au sujet des Nûtons :

« L’homme de l’âge de la pierre a habité les environs de Namur. Le musée archéologique nous en fournit la preuve : les nombreuses haches en silex, trouvées dans les fouilles faites dans le camp d’Hastedon sont des annales qui ne trompent pas, de même que le squelette trouvé à Anthée dans une caverne.

» L’instinct de l’homme de l’âge de la pierre lui faisait très bien choisir les endroits où il lui était facile de se défendre. Il est donc à peu près certain que les montagnes du château lui servirent souvent d’asile.

» Quelle est la longueur du temps entre la période de l’existence de l’homme préhistorique et celle de l’homme vivant dans les bois ? Aucune donnée ne vient éclairer les ombres épaisses qui séparent ces deux âges.

» Plusieurs écrivains se sont demandé ce qu’étaient les hommes désignés sous les noms de Nûtons, Sotais, Follets. Plusieurs ont affirmé que c’étaient des Gaulois se réfugiant dans les cavernes pour éviter le joug romain ! Oh ! non, les Gaulois du temps de César étaient trop fiers, trop guerriers pour fuir dans des cavernes. Si les Gaulois de la première souche avaient montré autant d’énergie que les Gaulois Belges, le célèbre général romain n’aurait jamais revu l’Italie.

» Les auteurs qui ont affirmé cette singulière opinion, n’ont pas su prendre ce qu’il y a de vrai dans les légendes, dans les traditions. Les Nûtons sont des hommes de l’âge de la pierre ; ils habitaient les cavernes qui se trouvaient le long des rivières. Ils n’avaient pas encore appris à se construire des huttes, ils se réfugiaient dans des endroits que l’instinct leur indiquait. »