Page:Freud - La Psychopathologie de la vie quotidienne, 1922, trad. Jankélévitch.djvu/36

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quel point une question bien orientée est capable d’éclairer un homme sur des choses dont il n’avait pas conscience auparavant. C’est ainsi que mon interlocuteur me regarda avec une expression de souffrance et de mécontentement, récita à mi-voix, comme pour lui-même, un autre passage du poème :

Sieh sie an genau !
Morgen ist sie grau.

(Regarde-la bien — demain elle sera grise)[1]
et ajouta : — Elle est un peu plus âgée que moi. Ne voulant pas le peiner davantage, j’ai interrompu l’interrogatoire. J’étais suffisamment édifié. Mais ce qui était remarquable dans ce cas, c’est que dans mon effort pour remonter à la cause d’une lacune en apparence anodine de la mémoire, j’en sois venu à me trouver en présence de circonstances profondes, intimes, associées chez mon interlocuteur à des sentiments pénibles.

Voici maintenant un autre cas d’oubli d’une phrase faisant partie d’une poésie connue. Ce cas a été publié par M. C.-G. Jung[2] et je le reproduis textuellement.

Un monsieur veut réciter la célèbre poésie (de Henri Heine) : « Un pin se dresse solitaire, etc. » À la phrase qui commence par : « il a sommeil », il s’arrête impuissant, ayant complètement oublié les mots :

  1. Mon collègue a d'ailleurs quelque peu changé ce beau passage de la poésie, aussi bien dans son texte qu'en ce qui concerne son application. La jeune fille-fantôme dit à son fiancé :

    « Meine Kette hab' ich dir gegeben ;
    Deine Locke nehm' ich mit mir fort.
    Sieh sie an genau !
    Morgen bist du grau,
    Und nur braun erscheinst du wieder dort ».

    « Je t'ai donné ma chaîne ; — J'emporte ta boucle. — Regarde-la bien ! — Demain tu seras gris, — et c'est seulement là-haut que tu redeviendras brun »).

  2. C. G. Jung. — Ueber die Psychologie der Dementia praecox, 1907. P. 64.